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Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/91

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Le président. — Nazir, reconnaissez-vous cet homme ? Où l’avez-vous vu pour la première fois ?

Nazir. — Seigneur, je le reconnais : c’est Roudanee, le barbier de Chittore. Un matin, j’étais à jouer tout seul dans un petit champ de riz auprès de la maison de mon père ; il est passé auprès de moi, m’a regardé et m’a mis la main sur les yeux. Je ne sais plus ce qui s’est passé ensuite.

Le président. — Comment, vous l’avez suivi sans résister ! Ce n’est pas possible, il vous a fait violence, vous a pris dans ses bras ?

Nazir. — Non. Il m’a dit de le suivre. Il me regardait ; tenez, comme en ce moment : j’ai eu peur et je l’ai suivi.

Le président. — Roudanee, je vous défends de regarder cet enfant. Tournez la tête d’un autre côté et laissez-le répondre. Voyons, Nazir, vous êtes encore sous l’influence de la peur. Tâchez de rappeler vos souvenirs.

Nazir. — Je ne sais rien de plus, seigneur ; je ne me rappelle même pas la route que nous avons faite.

— Pourriez-vous nous expliquer, Feringhea, ce que cela veut dire ? demanda le président en s’adressant au chef des Thugs.

— Mylord, répondit ce dernier, Roudanee est un de ces hommes que nous avons çà et là dans les villes et auxquels la divinité a accordé une puissance magnétique surnaturelle sur les femmes et les enfants. Leurs regards suffisent pour paralyser la force de ceux dont ils veulent se rendre maîtres.

— Pourquoi cet homme se dit-il barbier ?

— Il l’est réellement. C’est le métier qu’embrassent de préférence, dans l’association, ceux qui remplissent les fonctions d’enleveurs de femmes et d’enfants. Leurs mains, pendant qu’ils coiffent ou qu’ils épilent, sont en rapport avec les muscles les plus sensibles de l’organisme. L’immobilité du sujet, la fixité du regards de l’opérateur, tout concourt à lui donner ainsi une puissance à laquelle peu d’individus résistent.

— Ces hommes sont-ils pris au hasard ?

— Non, ils sont choisis avec le plus grand soin ; et lorsqu’ils ont été reconnus aptes à prêter à l’association leur concours, il sont assujettis à une vie d’abstinence et de privations, qui a pour but de développer leurs dispositions naturelles.

— Que vouliez-vous faire de cet enfant, Roudanee ? demanda alors le président à l’accusé.

— J’obéissais aux ordres d’Hyder-Ali, répondit le barbier.

— Vous entendez, Hyder-Ali, dit le magistrat en s’adressant à celui-ci, répondez.