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Page:Renan - Jesus, Levy, 1864.djvu/239

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graves pensées. Parfois, il laissait percer contre ses ennemis un ressentiment sombre ; il racontait la parabole d’un homme noble, qui partit pour recueillir un royaume dans des pays éloignés ; mais à peine est-il parti, que ses concitoyens ne veulent plus de lui. Le roi revient, ordonne d’amener devant lui ceux qui n’ont pas voulu qu’il règne sur eux, et les fait mettre tous à mort. D’autres fois, il détruisait de front les illusions des disciples. Comme ils marchaient sur les routes pierreuses du nord de Jérusalem, Jésus pensif devançait le groupe de ses compagnons. Tous le regardaient en silence, éprouvant un sentiment de crainte et n’osant l’interroger. Déjà, à diverses reprises, il leur avait parlé de ses souffrances futures, et ils l’avaient écouté à contre-cœur. Jésus prit enfin la parole, et, ne leur cachant plus ses pressentiments, il les entretint de sa fin prochaine. Ce fut une grande tristesse dans toute la troupe. Les disciples s’attendaient à voir apparaître bientôt le signe dans les nues. Le cri inaugural du royaume de Dieu : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, » retentissait déjà dans la troupe en accents joyeux. Cette sanglante perspective les troubla. A chaque pas de la route fatale, le royaume de Dieu s’approchait ou s’éloignait dans le mirage de leurs rêves. Pour lui, il se confirmait dans la pensée qu’il allait mourir, mais que sa mort sauverait le monde. Le malentendu entre lui et ses disciples devenait à chaque instant plus profond.