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Page:Renan - Jesus, Levy, 1864.djvu/243

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Une grande tristesse paraît, en ces dernières journées, avoir rempli l’âme, d’ordinaire si gaie et si sereine, de Jésus. Tous les récits sont d’accord pour lui prêter avant son arrestation un moment d’hésitation et de trouble, une sorte d’agonie anticipée. Selon les uns, il se serait tout à coup écrié : « Mon âme est troublée. O Père, sauve-moi de cette heure ! » On croyait qu’une voix du ciel à ce moment se fit entendre ; d’autres disaient qu’un ange vint le consoler. Selon une version très-répandue, le fait aurait eu lieu au jardin de Gethsémani. Jésus, disait-on, s’éloigna à un jet de pierre de ses disciples endormis, ne prenant avec lui que Céphas et les deux fils Zébédée. Alors il pria la face contre terre. Son âme fut triste jusqu’à la mort ; une angoisse terrible pesa sur lui ; mais la résignation à la volonté divine l’emporta. Ce qu’il y a de certain, c’est que, durant ses derniers jours, le poids énorme de la mission qu’il avait acceptée pesa cruellement sur Jésus. La nature humaine se réveilla un moment. Il se prit peut-être à douter de son œuvre. La terreur, l’hésitation s’emparèrent de lui et le jetèrent dans une défaillance pire que la mort. L’homme qui a sacrifié à une grande idée son repos et les récompenses légitimes de la vie éprouve toujours un moment de retour triste, quand l’image de la mort se présente à lui pour la première fois et cherche à lui persuader que tout est vain. Peut-être quelques-uns de ces touchants souvenirs que conservent les âmes