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Page:Renan - Jesus, Levy, 1864.djvu/266

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leur responsabilité comme les individus. Or, si jamais crime fut le crime d’une nation, ce fut la mort de Jésus. Cette mort fut « légale, » en ce sens qu’elle eut pour cause première une loi qui était l’âme même de la nation. La loi mosaïque, dans sa forme moderne, il est vrai, mais acceptée, prononçait la peine de mort contre toute tentative pour changer le culte établi. Or, Jésus, sans nul doute, attaquait ce culte et aspirait à le détruire. Les Juifs le dirent à Pilate avec une franchise simple et vraie : « Nous avons une Loi, et, selon cette Loi, il doit mourir ; car il s’est fait Fils de Dieu. » La loi était détestable ; mais c’était la loi de la férocité antique, et le héros qui s’offrait pour l’abroger devait avant tout la subir.

Hélas ! il faudra plus de dix-huit cents ans pour que le sang qu’il va verser porte ses fruits. En son nom, durant des siècles, on infligera des tortures et la mort à des penseurs aussi nobles que lui. Aujourd’hui encore, dans des pays qui se disent chrétiens, des pénalités sont prononcées pour des délits religieux. Jésus n’est pas responsable de ces égarements. Il ne pouvait prévoir que tel peuple à l’imagination égarée le concevrait un jour comme un affreux Moloch, avide de chair brûlée. Le christianisme a été intolérant ; mais l’intolérance n’est pas un fait essentiellement chrétien. C’est un fait juif, en ce sens que le judaïsme dressa pour la première fois la théorie de l’absolu en religion, et posa le principe