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Page:Renan - Jesus, Levy, 1864.djvu/94

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lui, c’est la vérité. Jésus ne savait pas assez l’histoire pour comprendre combien une telle doctrine venait juste à son point, au moment où finissait la liberté républicaine et où les petites constitutions municipales de l’antiquité expiraient dans l’unité de l’empire romain. Mais son bon sens admirable et l’instinct vraiment prophétique qu’il avait de sa mission le guidèrent ici avec une merveilleuse sûreté. Par ce mot : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu, » il a créé quelque chose d’étranger à la politique, un refuge pour les âmes au milieu de l’empire de la force brutale. Assurément, une telle doctrine avait ses dangers. Établir en principe que le signe pour reconnaître le pouvoir légitime est de regarder la monnaie, proclamer que l’homme parfait paye l’impôt par dédain et sans discuter, c’était détruire la république à la façon ancienne et favoriser toutes les tyrannies. Le christianisme, en ce sens, a beaucoup contribué à affaiblir le sentiment des devoirs du citoyen et à livrer le monde au pouvoir absolu des faits accomplis. Mais, en constituant une immense association libre, qui, durant trois cents ans, sut se passer de politique, le christianisme compensa amplement le tort qu’il a fait aux vertus civiques. Le pouvoir de l’État a été borné aux choses de la terre ; l’esprit a été affranchi, ou du moins le faisceau terrible de l’omnipotence romaine a été brisé pour jamais.

L’homme surtout préoccupé des devoirs de la vie