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Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/159

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Je m’habituai dès lors à suivre une règle singulière, c’est de prendre pour mes jugements pratiques le contre-pied exact de mes jugements théoriques, de ne regarder comme possible que ce qui contredisait mes aspirations. Une expérience assez suivie m’avait montré, en effet, que la cause que j’aimais échouait toujours et que ce qui me répugnait était ce qui devait triompher. Plus une solution politique fut chétive, plus elle me parut dès lors avoir de chances pour réussir dans le monde des réalités.

En fait, je n’ai d’amour que pour les caractères d’un idéalisme absolu, martyrs, héros, utopistes, amis de l’impossible. De ceux-là seuls je m’occupe ; ils sont, si j’ose le dire, ma spécialité. Mais je vois ce que ne voient pas les exaltés ; je vois, dis-je, que ces grands accès n’ont plus d’utilité et que, d’ici à longtemps, les héroïques folies que le passé a déifiées ne réussiront plus. L’enthousiasme de 1792 fut une belle et grande chose, mais une chose qui ne peut se renouveler. Le jacobinisme, comme M. Thiers l’a très bien prouvé, a