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Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/161

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je me suis mis en garde contre mon idéalisme. Je crains toujours que mes habitudes d’esprit ne me trompent, ne me cachent un côté des choses. C’est comme cela qu’il se fait que, tout en aimant beaucoup le bien, j’ai une indulgence peut-être fâcheuse pour ceux qui ont pris la vie par un autre côté, et que, tout en étant fort appliqué, je me demande sans cesse si ce ne sont pas les gens frivoles qui ont raison.

Enthousiaste, je le suis autant que personne ; mais je pense que la réalité ne veut plus d’enthousiasme, et qu’avec le règne des gens d’affaires, des industriels, de la classe ouvrière (la plus intéressée de toutes les classes), des juifs, des Anglais de l’ancienne école, des Allemands de la nouvelle, a été inauguré un âge matérialiste où il sera aussi difficile de faire triompher une pensée généreuse que de produire le son argentin du bourdon de Notre-Dame avec une cloche de plomb ou d’étain. Il est curieux, du reste, que, sans contenter les uns, je n’aie pas trompé les autres. Les bourgeois ne m’ont su aucun