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Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/351

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qui devrait faire mon bonheur cause mon plus grand chagrin. Un devoir impérieux m’oblige à concentrer mes pensées en moi-même, pour en épargner le contre-coup aux personnes qui m’entourent de leur affection, et qui, d’ailleurs, seraient bien incapables de comprendre mon trouble. Leurs soins et leurs caresses me désolent. Ah ! si elles savaient ce qui se passe au fond de mon cœur !

Depuis mon séjour en ce pays, j’ai acquis des données importantes pour la solution du grand problème qui me préoccupe. Plusieurs circonstances m’ont tout d’abord fait comprendre la grandeur du sacrifice que Dieu exigeait de moi, et dans quel abîme me précipitait le parti que me conseille ma conscience. Inutile de vous en présenter le pénible détail, puisqu’après tout, de pareilles considérations ne doivent être d’aucun poids dans la délibération dont il s’agit. Renoncer à une voie qui m’a souri dès mon enfance, et qui me menait sûrement aux fins nobles et pures que je m’étais proposées, pour en embrasser une autre où je n’entrevois qu’incertitudes et rebuts ; mé-

    raient bien des nuances d’un état d’âme disparu depuis trente-sept ans. Pour moi, M. Foulon et M. Cognat sont d’anciens amis, qui me sont restés très chers. Pour eux, j’espère que je suis cela aussi ; mais je dois être de plus un adversaire du dogme qu’il professent, quoique, à vrai dire, dans l’état d’esprit où je suis, il n’y ait rien ni personne dont je sois l’adversaire. Depuis nos anciennes relations, je n’ai revu M. Cognat qu’une seule fois : c’était aux funérailles de M. Littré. Nous étions en chappe tous les deux, lui comme curé, moi comme directeur de l’Académie ; nous ne pûmes causer.