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Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/439

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qui dénotent mauvaise foi ou frivolité. Tout ou rien, les néo-catholiques sont les plus sots de tous.

Non, mon ami, ne craignez pas de me dire que je suis dans cet état par ma faute ; je sais que vous devez le croire. Il m’est sans doute bien pénible de songer que la moitié peut-être du genre humain éclairé me dirait que je suis dans l’inimitié de Dieu, et, pour parler la vieille langue chrétienne, qui est la vraie, que, si la mort venait à me surprendre, je serais damné à l’instant même. Cela est affreux, et me faisait frémir autrefois, car je ne sais pourquoi la pensée de la mort m’apparaît toujours comme très prochaine. Mais je m’y suis aguerri, et je ne souhaite aux orthodoxes qu’une paix d’âme égale à celle dont je jouis. Je puis dire que, depuis que j’ai accompli mon sacrifice, au milieu de peines extérieures plus grandes qu’on ne saurait croire et qu’une délicatesse fausse peut-être me force de cacher à tous, j’ai goûté un calme qui m’était inconnu à des époques de ma vie en apparence plus sereines. Il faut se garder, mon cher ami, de croire sur le bonheur certaines généralités très fausses, supposant toutes qu’on ne peut être heureux que conséquemment et avec un système intellectuel parfaitement harmonisé. À ce prix, nul ne serait heureux, ou celui-là seul le serait dont l’intelligence bornée ne pourrait s’élever à la conception du problème et du doute. Heureusement il n’en est pas ainsi ; nous sommes heureux grâce à une inconséquence et à un certain tour qui nous fait prendre en patience ce qui avec un autre tour deviendrait un supplice. J’imagine que vous avez dû éprouver ceci : il se passe en nous,