Aller au contenu

Page:Renan - Souvenirs d’enfance et de jeunesse.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même les initiales du vicaire et les siennes propres se mêlaient. Elle faisait bien ces petits travaux de femme. Son aiguille allait, allait sans cesse, et elle filait des heures délicieuses plongée dans les songes de son cœur, croyant qu’elle et lui ne faisaient qu’un. Elle trompait ainsi sa passion et y trouvait des moments de volupté qui la rassasiaient pour des journées.

» Les semaines s’écoulaient de la sorte à tracer point par point les lettres du nom qu’elle aimait, à les marier aux siennes, et ce passe-temps était pour elle une grande consolation. Sa main était toujours occupée pour lui ; ces linges piqués par elle lui semblaient elle-même. Ils seraient près de lui, le toucheraient, serviraient à ses usages ; ils seraient elle-même près de lui. Quelle joie qu’une telle pensée ! Elle serait toujours privée de lui, c’est vrai ; mais l’impossible est l’impossible ; elle se serait approchée de lui autant que c’était permis. Durant un an, elle savoura ainsi en imagination son pauvre petit bonheur. Seule, les yeux fixés sur son ouvrage, elle était d’un autre monde, se croyait sa femme