Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/30

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Discours sur la montagne que Jésus a été crucifié ? Non certes. Ces maximes étaient depuis longtemps la monnaie courante des synagogues. On n’avait jamais tué personne pour les avoir répétées. Si Jésus a été mis à mort, c’est qu’il disait quelque chose de plus. Un homme savant, qui a été mêlé à ces débats, m’écrivait dernièrement : « Comme, autrefois, il fallait prouver à tout prix que Jésus était Dieu, il s’agit, pour l’école théologique protestante de nos jours, de prouver, non-seulement qu’il n’est qu’homme, mais encore qu’il s’est toujours lui-même regardé comme tel. On tient à le présenter comme l’homme de bon sens, l’homme pratique par excellence ; on le transforme à l’image et selon le cœur de la théologie moderne. Je crois avec vous que ce n’est plus là faire justice à la vérité historique, que c’est en négliger un côté essentiel. »

Cette tendance s’est déjà plus d’une fois logiquement produite dans le sein du christianisme. Que voulait Marcion ? Que voulaient les gnostiques du iie siècle ? Écarter les circonstances matérielles d’une biographie, dont les détails humains les choquaient. Baur et Strauss obéissent à des nécessités philosophiques analogues. L’éon divin qui se développe par l’humanité n’a rien à faire avec des incidents anecdotiques, avec la vie particulière d’un individu. Scholten et Schenkel tiennent certes pour un Jésus historique et réel ; mais leur Jésus historique n’est ni un Messie, ni un prophète, ni un juif. On ne sait ce qu’il a voulu ; on ne comprend ni sa vie ni sa mort. Leur Jésus est un éon à sa manière, un être impalpable, intangible. L’histoire pure ne connaît pas de tels êtres. L’histoire pure doit construire son édifice avec deux sortes de données, et, si j’ose le dire, deux facteurs : d’abord, l’état général de l’âme humaine en un siècle et dans un pays donnés ; en second