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Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/414

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qu’elle était à double face que sa pensée a été féconde. Sa chimère n’a pas eu le sort de tant d’autres qui ont traversé l’esprit humain, parce qu’elle recélait un germe de vie qui, introduit, grâce à une enveloppe fabuleuse, dans le sein de l’humanité, y a porté des fruits éternels.

Et ne dites pas que c’est là une interprétation bienveillante, imaginée pour laver l’honneur de notre grand maître du cruel démenti infligé à ses rêves par la réalité. Non, non. Ce vrai royaume de Dieu, ce royaume de l’esprit, qui fait chacun roi et prêtre ; ce royaume qui, comme le grain de sénevé, est devenu un arbre qui ombrage le monde, et sous les rameaux duquel les oiseaux ont leur nid, Jésus l’a compris, l’a voulu, l’a fondé. À côté de l’idée fausse, froide, impossible d’un avénement de parade, il a conçu la réelle cité de Dieu, la « palingénésie » véritable, le Sermon sur la montagne, l’apothéose du faible, l’amour du peuple, le goût du pauvre, la réhabilitation de tout ce qui est humble, vrai et naïf. Cette réhabilitation, il l’a rendue en artiste incomparable par des traits qui dureront éternellement. Chacun de nous lui est redevable de ce qu’il a de meilleur en soi. Pardonnons-lui son espérance d’une apocalypse vaine, d’une venue à grand triomphe sur les nuées du ciel. Peut-être était-ce là l’erreur des