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Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/416

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crée sans bruit par la vraie conversion du cœur[1]. Le royaume de Dieu n’est alors que le bien[2], un ordre de choses meilleur que celui qui existe, le règne de la justice, que le fidèle, selon sa mesure, doit contribuer à fonder, ou encore la liberté de l’âme, quelque chose d’analogue à la « délivrance » bouddhique, fruit du détachement. Ces vérités, qui sont pour nous purement abstraites, étaient pour Jésus des réalités vivantes. Tout est dans sa pensée concret et substantiel : Jésus est l’homme qui a cru le plus énergiquement à la réalité de l’idéal.

En acceptant les utopies de son temps et de sa race, Jésus sut ainsi en faire de hautes vérités, grâce à de féconds malentendus. Son royaume de Dieu, c’était sans doute l’apocalypse qui allait bientôt se dérouler dans le ciel. Mais c’était encore, et probablement c’était surtout le royaume de l’âme, créé par la liberté et par le sentiment filial que l’homme vertueux ressent sur le sein de son Père. C’était la religion pure, sans pratiques, sans temple, sans prêtre ; c’était le jugement moral du monde décerné à la conscience de l’homme juste et au bras du peuple. Voilà ce qui était fait pour vivre, voilà ce qui a vécu.

  1. Matth., vi, 10, 33 ; Marc, xii, 34 ; Luc, xi, 2 ; xii, 31 ; xvii, 20, 21 et suiv.
  2. Voir surtout Marc, xii, 34.