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Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/514

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légende, qui ne veut que des couleurs tranchées, n’a pu admettre dans le cénacle que onze saints et un réprouvé. La réalité ne procède point par catégories si absolues. L’avarice, que les synoptiques donnent pour motif au crime dont il s’agit, ne suffit pas pour l’expliquer. Il serait singulier qu’un homme qui tenait la caisse, et qui savait ce qu’il allait perdre par la mort du chef, eût échangé les profits de son emploi[1] contre une très-petite somme d’argent[2]. Judas avait-il été blessé dans son amour-propre par la semonce qu’il reçut au dîner de Béthanie ? Cela ne suffit pas encore. Le quatrième évangéliste voudrait en faire un voleur, un incrédule depuis le commencement[3], ce qui n’a aucune vraisemblance. On aime mieux croire à quelque sentiment de jalousie, à quelque dissension intestine. La haine particulière contre Judas qu’on remarque dans l’Évangile attribué à Jean[4] confirme cette hypothèse. D’un cœur moins pur que les autres, Judas aura pris, sans s’en apercevoir, les sentiments étroits de sa charge. Par un travers

  1. Jean, xii, 6.
  2. Le quatrième Évangile ne parle même pas d’un salaire. Les trente pièces d’argent des synoptiques sont empruntées à Zacharie, xi, 12-13.
  3. Jean, vi, 65 ; xii, 6.
  4. Jean, vi, 65, 71-72 ; xii, 6 ; xiii, 2, 27 et suiv.