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Page:Renan - Vie de Jesus, edition revue, 1895.djvu/587

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qui substituent leurs propres idées à celles qu’ils ne saisissent qu’à demi. En somme, le caractère de Jésus, loin d’avoir été embelli par ses biographes, a été rapetissé par eux. La critique, pour le retrouver tel qu’il fut, a besoin d’écarter une série de méprises, provenant de la médiocrité d’esprit des disciples. Ceux-ci l’ont peint comme ils le concevaient, et souvent, en croyant l’agrandir, l’ont en réalité amoindri.

Je sais que nos principes modernes sont plus d’une fois blessés dans cette légende, conçue par une autre race, sous un autre ciel, au milieu d’autres besoins sociaux. Il est des vertus qui, à quelques égards, sont plus conformes à notre goût. L’honnête et suave Marc-Aurèle, l’humble et doux Spinoza, n’ayant pas cru faire de miracles, ont été exempts de quelques erreurs que Jésus partagea. Le second, dans son obscurité profonde, eut un avantage que Jésus ne chercha pas. Par notre extrême délicatesse dans l’emploi des moyens de conviction, par notre sincérité absolue et notre amour désintéressé de l’idée pure, nous avons fondé, nous tous qui avons voué notre vie à la science, un nouvel idéal de moralité. Mais les appréciations de l’histoire générale ne doivent pas se renfermer dans des considérations de mérite personnel. Marc-Aurèle et ses nobles maîtres ont été sans action durable sur le monde.