Aller au contenu

Page:Renard - L'Amant de la morte, 1925.djvu/16

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Guillaume, même jeu

Tu n’as pas le droit de m’empêcher…

Robert, même jeu

Si !

Guillaume, cédant

Puisque je te dis que je n’en peux plus !

Robert, mettant l’arme dans la poche de sa veste

À la longue, ta douleur s’apaisera. Guillaume, je t’en supplie, calme-toi !

Guillaume

Rends-moi ce revolver !

Robert

Non !

Guillaume

Si tu as un peu de pitié pour moi, rends-le-moi !

Robert

Plus tard. Quand tu seras tout à fait calme ; Guillaume, il faut vivre ! Du moins, il faut essayer de vivre !

Guillaume

Ah ! c’est fini, maintenant. Ma vie est brisée… Je l’aimais tant !… Adieu !

(Ils se serrent la main avec une grande émotion. Guillaume sort.)


Scène 4

ROBERT seul

La nuit est venue. La lampe et le foyer ne répandent sur la scène qu’une faible lumière rougeâtre. Beaucoup d’ombre dans les coins, derrière les choses.

Robert, après un temps de sombre méditation

Ma douleur vaut la tienne, va !… Mais moi, je n’ai pas le droit de la crier !… Quelle chose abominable, mon Dieu ! Aimer un être plus que tout au monde, le voir disparaître, et ne pouvoir crier la souffrance qu’on endure !

(Scène muette. Au paroxysme de la douleur, Robert semble lutter contre une tentation. Il hésite quelques instants, et se détermine. Il va s’asseoir sur le divan, fouille dans le tiroir de la petite table, prépare une seringue de Pravaz, relève sa manche gauche, et se fait une piqûre à l’avant-bras. Puis il rabat lentement sa manche, s’allonge à demi sur les coussins, et bientôt parle dans un rêve :)

On l’a trouvée… écrasée entre deux banquettes… Et… pour reprendre son sac, il a fallu… briser… les petits os… de ses doigts !… Ah ! je les entends craquer !…

Je ne veux pas… Je ne veux plus les entendre craquer ! (Il enfonce sa tête dans les coussins. Puis, saisi peu à peu par une idée désespérante :) Dire que si tu étais vivante…, je t’attendrais !… C’est le jour, c’est l’heure que je t’avais fixés…

(Sous une poussée de bourrasque, la fenêtre, mal refermée, s’ouvre tout à coup, les carreaux se brisent. Robert, horrifié, se dresse, hagard, comme si quelqu’un venait d’entrer avec le vent, — quelqu’un dont il semble fixer l’horreur, dans le vide, — quelqu’un qu’il écoute, dans le silence.)


Scène 5

ROBERT, LA VOIX DE SIMONE
La Voix

Robert !… Robert !!… Robert !!!…

Robert, frémissant

Qui est là ?

La Voix

Moi, Simone.

Robert, éperdu

Simone ?… Ce n’est pas vrai !

La Voix

Si, c’est moi. Tu ne reconnais plus ma voix ?

Robert, suivant des yeux sa vision

Mais c’est impossible !

La Voix

Je t’ai obéi.

Robert

Partez ! Partez !

La Voix

C’est toi qui m’as ordonné… J’avais peur d’être en retard. J’ai eu tant de peine à sortir de là-bas !

Robert, terrifié

Sortir de là-bas !… (Essayant de raisonner et s’armant de scepticisme :) Ah ! Ah ! c’est un cauchemar ! Il n’y a pas de loi qui prolonge au delà de la mort les ordres donnés dans l’hypnose !

La Voix, riant d’une manière atroce

Ah ! Ah ! Ah !… La mort !…

Robert, perdant pied

Va-t’en !