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Page:Renard - Le Péril Bleu, 1911.djvu/18

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la campagne hantée

n’a pu jusqu’ici s’emparer d’aucun d’eux. C’est à Seyssel[1], au confluent du Rhône et du Fier, aux confins des trois départements de l’Ain, de la Haute-Savoie et de la Savoie, que la chose a commencé.

« Dans la nuit du 14 au 15 avril, nombre d’outils de jardinage et d’instruments aratoires, laissés au dehors, ont été subtilisés. Les premiers Seysselans qui s’en aperçurent prirent le chemin de la mairie, afin d’y déposer une plainte. Et en arrivant à la maison commune, ils virent que pendant la nuit on avait absurdement arraché les aiguilles de la grande horloge. Une lanterne, accrochée à une potence, avait également disparu. L’opinion générale incrimina certains habitants qui, la veille au soir, s’étaient manifestement enivrés. Mais tous, ayant fourni l’emploi de leur temps, se disculpèrent. Le parquet fut avisé.

« La journée du 15 se passa tranquillement. À midi et au soir, en rentrant chez eux, les Seysselans ne trouvèrent aucune trace de vols ou de dégâts. Ils se couchèrent sans inquiétude.

« Mais le lendemain, ils constatèrent de nouvelles déprédations encore moins justifiées, encore moins raisonnables que les précédentes. Un drapeau, fixé au pignon d’une bâtisse neuve, avait été enlevé ; la sphère de zinc, peinte en jaune, qui servait d’enseigne à l’auberge de la Boule d’Or, ne pendait plus à sa ferrure ; une quantité de branches d’arbres avait été coupée dans les vergers ; une borne, au coin de la place, n’était plus là ; des moellons de silex avaient quitté leur tas pour une destination inconnue ; enfin le chat de l’épicier, qui depuis quelque temps rôdait sur les toits, ne put se retrouver.

« Les Seysselans, d’autant plus furieux que les gens d’alentour commençaient à les railler, se promirent à faire bonne garde la nuit d’après. Mais ce fut inutile. Rien ne se passa.

« L’avis de tous est qu’il s’agit d’une bande de mauvais plaisants. Ce sont là les menées de grossiers mystificateurs de village. »

Telles sont les nouvelles qui nous sont parvenues voilà vingt-quatre heures et que nous refusâmes d’insérer avant de nous être assurés de leur exactitude. Aujourd’hui nous en sommes certains, et nous savons de bonne source (car, en vérité, il n’est pas superflu de la mentionner) que la nuit où les Seysselans guettèrent sans résultat, ce fut le village voisin,

  1. Seyssel de l’Ain, par conséquent, sur la rive droite du Rhône, et non pas Seyssel de la Haute-Savoie, qui est en face, sur la rive gauche.