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Page:Renard - Le Péril Bleu, 1911.djvu/219

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le péril bleu

sans prison, lorsqu’une force énigmatique, soulevant Maxime, alla le déposer vingt mètres plus loin, contre la lisière du bois. Le bourdonnement, plus aigu ce pendant, reprit alors sa pédale ténébreuse. Les coureurs s’étaient arrêtés.

Quelle scène ! Il faudrait savoir manier le crayon du sardonique M. Jean Veber, pour dessiner ce château derrière cette pelouse : — aux fenêtres, des faces révolutionnées de bonnes sans bonnet, en camisole de nuit, devant le perron, quelques domestiques mâles autour de Mme Monbardeau raidie d’effroi sous le peignoir, — Mme Arquedouve avec ses yeux d’aveugle élargis par le désir de voir, — sur la pelouse, le bloc des cinq hommes serrant l’un contre l’autre le pyjama du docteur, le tablier du jardinier, la robe de chambre de l’astronome, le gilet rayé du cocher, la cotte bleue du mécanicien, et faisant la grimace des calamités, — puis, seul, en face de tous ces regards, le lamentable objet de tant d’émotions, affalé dans l’herbe et pleurant, comme un Jésus tombé pour la troisième fois. — Ceci dans une atmosphère contradictoirement légendaire et quotidienne, donc burlesque.

— « Mais que faire ? que faire donc ? » chevrotait M. Le Tellier. « Dis, Maxime, qu’est-ce qu’il faut faire ? »

— « Hélas ! hélas ! Qu’ils prennent l’un de vous, et ils me remporteront ! Qu’ils ne prennent personne, et ils me remporteront également !… Tâchons de faire durer… C’est si terrible là-haut ! Il y a des supplices !… »

Mais tout à coup M. Le Tellier jeta cette alarme :

— « Qui va là ? qui va là ?… J’ai vu quelqu’un se glisser sous bois… Qui va là ?… Une ombre, vous dis-je, qui se… Ha ! »

Un éclair fulgura parmi les branches ; une détonation retentit dans le bois, tout près de Maxime ; de la fumée blanchâtre apparut ; le jeune homme s’abattit lourdement…

Sa mère, un fusil au poing, sortait de la fumée. Une femme de neige eût été moins blafarde. Elle vociférait :

— « Comme ça, ils ne le feront plus souffrir ! Il ne souffrira plus ! J’aime mieux ça, j’aime mieux ça ! »

— « Malheureuse ! ne sors pas ! » vociférait aussi M. Le Tellier. « Cache-toi ! Mais cache-toi donc ! »