Aller au contenu

Page:Renard - Le Péril Bleu, 1911.djvu/237

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
236
le péril bleu

rant le moins lourd que l’air au plus lourd, les autres pariant contre l’État ou contre le Capital, et beaucoup d’autres basant leur opinion sur la sympathie plus ou moins irrésistible qu’ils éprouvaient à l’égard des pilotes.

Les pilotes — les dieux du moment — c’étaient le duc d’Agnès, jockey de l’Épervier, et le capitaine Santus, cornac du Prolétaire. Des camelots vendaient leur biographie et leur portrait. Ils les tendaient au bout d’une perche aux curieux des balcons, et s’accrochaient aux voitures qui s’efforçaient de gagner la banlieue du côté de Meaux.

À mesure que l’heure avançait, le public, tassé, devenait trépidant. La circulation des chaussées augmentait comme dans les artères d’un fiévreux.

Au carrefour Louis-le-Grand, l’effervescence atteignit son maximum vers neuf heures quarante-cinq. Dès cet instant, ceux d’en bas, ne pouvant rien entrevoir, criaient à ceux d’en haut, derrière les lettres-monstres des affiches, parmi les inscriptions-réclames et les tuyaux de cheminée :

— « Les voyez-vous ? — Sont-ils en l’air ? »

De la plate-forme du Pavillon de Hanovre, des combles du Vaudeville, du sommet de tous les dessus, on leur répondait :

— « Non ! »

Des lazzi s’ensuivaient. Cela produisait une jolie confusion d’apostrophes. Et ceux d’en bas continuaient à regarder ceux d’en haut, qui regardaient tous, au loin, à droite du dôme des Invalides plus doré de soleil encore que de peinture, deux granules brillants, deux ballonnets captifs maintenus à l’intervalle de cent mètres et déterminant la ligne de départ, — qui était aussi la ligne d’arrivée.

Là-bas, sous les petits ballons, il devait y avoir un déploiement considérable de tribunes, de musiques et de fleurs. Le faste national y drapait son velours incarnat aux crépines d’or. La Marseillaise sans doute…

Mais, à neuf heures cinquante, l’assistance des toitures s’agita, pareille au champ que la brise réveille ; il y eut comme un soupir d’allégresse, profond, frémissant, gi-