Aller au contenu

Page:Renard - Le Péril Bleu, 1911.djvu/240

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
239
le fameux vendredi 6 septembre

de Hanovre, le Prolétaire avait plongé de la poupe ; son empennage cruciforme baissa d’une saccade, baissa encore, et son enveloppe increvable se creusa tout à coup, comme si, à l’intérieur même du ballon, quelqu’un l’eût tirée avec obstination… Ralenti, le dirigeable piquait de l’arrière désespérément… Mais la poche se regonfla de même qu’elle s’était formée, à l’improviste ; l’aéronef tangua, fit un bond, repartit… et…

Et ce fut le tour de l’Épervier, qui, sans cause apparente, se mit à pencher d’une manière effroyable, l’aile gauche levée… On aperçut le duc d’Agnès qui maniait ses commandes à toute volée, virait malgré lui et ne pouvait se redresser. Le monoplan donnait de la bande… il allait s’abîmer dans le gouffre tapissé de créatures… Le gouffre eut un râle d’armée agonisante… puis un rugissement de victoire ! L’Épervier bourlinguait, un roulis du diable balançait son envergure bleue, — mais il ne penchait plus. Un second virage lui rendit l’aplomb et le relança dans la joute, au pourchas du Prolétaire.

L’acclamation qu’ils semaient en passant diminua. On s’était retourné pour les suivre à perte de vue. Des femmes cependant respiraient leur flacon de sels. « Dieu, qu’elles avaient eu le trac, ma chère ! » — Les automobiles ronflaient, cornaient, sirénaient, sifflotaient, impatientes d’arriver au delà de Pantin.

Qu’est-ce qui s’était passé ? — Les remous des hélices s’étaient-ils contrariés mutuellement ? — Un courant d’air atmosphérique ?…

Les commentaires allaient leur train, quand un bruit sinistre éclata sourd : des gémissements, des chocs, un hourvari d’horreur…

Tous les regards se dirigeaient vers la terrasse du Pavillon de Hanovre. Une bousculade y jetait les uns contre les autres. Ces affolés levaient les yeux ; des fils télégraphiques s’étaient rompus spontanément, leur chute avait provoqué le désordre. La balustrade de pierre contenait une cohue, et les groupes sculptés qui la décorent soutenaient des grappes de fuyards en quête d’un abri.

La sculpture de gauche s’effondra tout d’un coup avec son équipage hurlant. Le bloc tomba sur les badauds du trottoir, dans le sang, l’effroi, l’ébahisement… — Il y