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Page:Renard - Le Péril Bleu, 1911.djvu/246

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le fameux vendredi 6 septembre

Un escadron de gardes municipaux encadrait le convoi funambulesque. L’infanterie de la garnison faisait la haie sur sa route, contenant avec peine les flots de gavroches et de midinettes, de bourgeois et d’apaches qui s’accumulaient pêle-mêle. Une légende se propageait à travers les groupes, née de l’allocution mal interprétée de M. Le Tellier autant que de son titre d’astronome ; on disait qu’un ballon dirigeable en cristal de roche était arrivé de la lune, monté par des Sélénites, et qu’on ne pouvait pas le connaître avec les yeux. Présentée dans ces termes, l’aventure provoqua des risées ; la peur d’être dupe enfanta le soupçon d’une duperie, à laquelle certains croiront jusqu’à la fin de leurs jours.

Rue de la Paix, de la corniche aux entresols, une floraison d’essayeuses et de mannequins, un babil de couturières et de modistes se penchait aux fenêtres pour voir passer… ce qui passerait. L’ahurissement les fit taire. « Ben quoi, c’était tout ça ? Des ficelles qu’on portait comme si qu’y aurait quéque chose dessus ? Et puis les flics qui faisaient des chichis de mains en l’air ? Ah ! mince d’enterrement ! Où’s qu’est le catafalque !… » — La notion de l’invisible surpassait leurs moyens.

Rue de Rivoli, un marmiton lança une bille au-dessus des cordes « pour voir des fois si c’était pas qu’on se payait le blair du fils à son dab ». La bille ricocha sur un casque. On arrêta le gamin, pour l’édification des plèbes.

Le cortège avançait. Place de la Concorde, six générations de Parisiens, de provinciaux, d’étrangers, étaient à l’entour comme un sable mouvant qui s’amassait en dunes derrière les ribambelles de soldats, l’arme au pied. La foule donnait l’impression de l’humanité.

M. Le Tellier, avec le préfet de police, marchait à l’avant-garde. Chemin faisant, il consultait le cahier rouge. On l’entendit, devant l’obélisque, envoyer des gardes à cheval au ministère de la Marine, tout proche, au Bassin d’essai des carènes (à Grenelle) et à l’École supérieure d’Aéronautique, avec mission de convoquer au Grand-Palais le plus grand nombre d’officiers de mer détachés à Paris.

Les questions pleuvaient sur les porteurs de cordes ;