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Page:Renard - Le Péril Bleu, 1911.djvu/29

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le péril bleu

nante, en plein ciel. — Géruzon les vit, d’un clin d’œil, se dérober derrière le premier contrefort du Colombier.

Ainsi vécut, prompte comme la parole, cette aventure prodigieuse. Le brigadier, d’abord, en demeura stupide ; puis, courant à perdre le souffle, il s’en fut réveiller Milot et le reporter, afin de leur conter le phénomène dans les termes succincts où l’on vient de l’apprendre. Il essuya leur mécontentement et se vit reprocher d’avoir voulu se réserver toute la gloire. Mais il riposta par l’exposé des motifs qui l’avaient induit à se comporter de la sorte, et fit valoir sa bravoure, ajoutant qu’il n’avait pas été sans ressentir un petit frisson. Sur cet aveu, les autres l’accusèrent d’hallucination, voire d’hystérie (sic), et le plaignirent d’en être descendu au « crétinisme » des paysans. — Mais, la nuit s’étant faite aussi noire qu’il est permis, le publiciste résolut de remettre au lendemain les constatations. Jusque-là, se disant que Châtel était désigné par la logique pour être attaqué, les trois sentinelles, l’oreille au guet, scrutèrent le silence.

Ils n’entendirent aucun bruit anormal.

À l’aube, les indigènes constatèrent avec joie que rien n’avait souffert dans les ténèbres ; et l’on connut que les Italiens n’étaient rien moins que des Sarvants d’une espèce particulièrement maligne : des démons volants ; et l’on frémit à la pensée de Culoz, vers quoi ils s’étaient envolés : Culoz où les gens n’étaient pas sur le qui-vive !… Et l’on avait raison de frémir. Le premier voiturier qui passa, venant de Culoz, répandit la nouvelle de son pillage. — Les Sarvants avaient sauté Châtel, n’y trouvant rien à marauder.

Par cette découverte s’expliquait admirablement (et d’une manière simple comme bonjour) l’absence d’empreintes à la suite des vols, ainsi que l’altitude où les voleurs volaient, — puisque c’étaient des voleurs volants, qui restaient suspendus en l’air pendant le « travail ».

Pourtant — est-il besoin de l’écrire ? — plusieurs personnes traitaient cela de calembredaines, et bien des regards de pitié se posaient sur le brigadier Géruzon.

L’honnête gendarme n’en avait cure. Il guida le reporter, du buisson d’églantiers à la corne du bois, et tous deux relevèrent la trace des Italiens. Les pas, cloutés, se dis-