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Page:Renard - Le Péril Bleu, 1911.djvu/295

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le péril bleu

ont eu autant de peine à descendre jusqu’à nous que nous en aurions à monter jusqu’à eux… La matière de leur vaisseau doit être à celle de leurs individus comme le plomb est à notre chair…

» Les malheureux, d’ailleurs, ont payé leur audace d’une catastrophe. Ce sont des martyrs de la Science que nous avons là près de nous. Car — messieurs, écoutez-moi, ceci est de la plus haute importance pour le succès des travaux que nous allons entreprendre — M. Robert Collin l’avait admirablement soupçonné : nous assistons à l’épilogue d’un drame pareil à ceux du Lutin, du Farfadet et du Pluviôse, que nous nous rappelons tous et qui endeuillèrent la marine française.

» Au cours d’une plongée effectuée le 12 août par cet aéroscaphe, — par ce sous-marin de l’air, — un détraquement se produisit dans son organisme, à un instant où il se trouvait encore dans les régions les plus élevées de l’atmosphère océane. À partir de ce jour-là, il s’est enfoncé lentement, et, lentement poussée par le vent du sud-est qui souffla jusqu’à mercredi, l’épave de l’Air est enfin venue s’échouer à Paris, au bout de trois semaines d’un engloutissement ininterrompu. C’est donc un naufrage, et qui serait terrifiant, si les naufragés n’étaient pas les ennemis féroces de l’humanité. Vous entendez, M. Virachol ?

» Tout porte à croire que plusieurs des matelots mystérieux vivent encore. Ces grincements font foi de leur activité. De même que l’équipage du Lutin ou du Farfadet vécut de longues heures au fond de l’eau dans sa provision d’air, de même l’équipage de l’aéroscaphe survit au fond de l’air dans sa provision de vide, — celle-ci plus inépuisable sans doute que celle-là, puisque nulle respiration ne saurait la dépenser et que, selon moi, les Invisibles doivent être exempts de poumons comme ils sont privés de cœur.

» Oui, me fondant sur les révélations du journal de M. Collin, j’affirme que c’est un naufrage. Point capital, messieurs. Car ainsi, nous n’avons pas à redouter que cette descente de l’aéroscaphe soit une ruse ourdie contre nous. Il en résulte que nous sommes les maîtres de