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Page:Renard - Le Péril Bleu, 1911.djvu/304

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l’épave de l’air

Sarvants et du monde superaérien, nous sommes ainsi que des aveugles. Depuis le commencement de la vie, nous avons joué avec les Sarvants un jeu de colin-maillard terrifiant, — et c’est nous qui avions le bandeau sur les yeux ! (Ce ne sont pas, d’ailleurs, les seuls ennemis invisibles que nous ayons depuis si longtemps. Pensez à l’acide carbonique, le traître, à l’oxyde de carbone. l’empoisonneur son complice, et tant d’autres !) Nous sommes des aveugles en face des Sarvants, vous dis-je ! voilà tout ; c’est une question de mots. Nous ne les avons encore perçus que par l’oreille et le tact. Pour Mme Arquedouve qui, elle, ne peut rien voir, ils sont exactement comme les autres êtres, puisqu’ils manquent d’une qualité qu’elle est incapable de percevoir. Toucherait-elle cet aéroscaphe, l’impression qu’elle en retirerait serait la même que s’il s’agissait d’une embarcation visible, à moins que son toucher, perfectionné par l’expérience, ne l’avertisse que cet objet possède un caractère spécial qui, pour les voyants, se traduit en invisibilité. Celle-ci ne saurait exister pour les aveugles ; un aveugle-né, même, ne pourrait comprendre ce que c’est ; à ce point de vue, il ne ferait aucune différence entre le métal de l’aéroscaphe et notre chair. — Étonnez-vous donc, monsieur, étonnez-vous encore d’une exception qui, fatalement, paraît à certains hommes la règle générale et que la raison leur impose comme telle, de toute sa toute-puissance !

» Voulez-vous rompre le sortilège de l’invisible ? Qu’à cela ne tienne : fermez les yeux ! »

— « Rhétorique, monsieur ! Rhétorique ! De plus, reconnaissez que les objets que vous me citez comme étant invisibles ne le sont que passagèrement, occasionnellement. Le projectile ne devient tel que s’il est lancé, l’hélice si elle tourne, et le vase s’il plonge dans l’eau. Quant aux choses invisibles d’une façon permanente, ce sont des gaz, impalpables et fort loin de… »

— « Qui vous a dit qu’il ne pouvait exister de gaz palpables ? »

— « Ce ne serait plus des gaz, par définition. L’air ne devient palpable que liquéfié, sous de hautes pressions, quand il se métamorphose de gaz en liquide… »