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Page:Renard - Le Péril Bleu, 1911.djvu/336

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apparition de l’invisible

cherie ! » L’existence des Sarvants n’était plus qu’une fumisterie de fonctionnaires escrocs, destinée en fin de compte à gruger le contribuable, une fois de plus. Tous ces travailleurs endimanchés se rappelaient entre eux les sommes énormes envoyées au secours du Bugey, de tous les points de la France et de l’étranger, et dont le comité de répartition n’avait distribué que 3.746 fr. 95. Ceux mêmes qui avaient accepté l’invisible au carrefour Louis-le-Grand ne l’admettaient plus, maintenant qu’ils avaient déboursé leur pièce blanche afin de le contempler.

Sur un ordre, les agents frappèrent l’aéroscaphe retentissant…

— « Ouh ! Ouh ! — Compères ! — Robert Houdin ! — Ouh ! Ouh ! — V’là les cognes qui veulent faire la pige aux frères Isola ! — Compères ! — Assez ! Assez ! — Honteux !… »

En exécution d’un deuxième ordre, les agents rétablirent des cordages autour du sous-aérien…

Puis les gradés atteignirent la plate-forme occulte et s’y promenèrent sans appui, comme les astres dans l’infinie subtilité…

Puis on alla chercher les moulages de l’hélice et de la pince-cisaille-panier…

Puis douze citoyens furent invités à venir toucher l’aéroscaphe…

Mais rien ne put retourner la foule, qui voyait partout des compères et des traîtres. Le Grand-Palais s’emplit d’un vacarme sans nom. Le public bouillait comme une flaque en fermentation. S’il avait cru à la réalité du bateau, il aurait tenté de le mettre en pièces. Çà et là, des échauffourées se produisirent ; on étouffa quelques marmots. Il fallut rendre l’argent.

Le prestige du Péril Bleu venait de recevoir une atteinte irréparable. Le lendemain, les journaux de l’opposition prétendirent qu’il ne s’agissait pas seulement d’une escroquerie gouvernementale et d’un crime de l’Étatisme, mais aussi d’un stratagème pour distraire de la situation sociale, sans cesse plus tendue, l’attention civique. Le pouvoir s’était servi de ce dérivatif indigne comme il se servait parfois d’alarmes de guerre, aussi fallacieuses que la nuisibilité, que l’existence même des terres invisibles.