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le péril bleu

mare ; mais une raison quelconque pouvait l’avoir induite à faire ce détour.

Maxime présumait avec bon sens que sa sœur avait pris par le haut. Par acquit de conscience, il voulut cependant examiner l’hypothèse contraire, — et s’en fut vers le bas.

Il interrogea les choses. Nulle trace de pas ne se distinguait aux macadams durement empierrés. Nulle trace non plus aux déclivités rocheuses du sentier. À l’endroit humide où celui-ci débouche sur la route, on remarquait pourtant de multiples empreintes dans la glaise marécageuse ; mais il y en avait tant et tant, de toute sorte, qu’on s’y perdait.

Maxime questionna les gens. Par malheur, à cette saison, très peu de campagnards travaillent ces terres ingrates où quelques vignes seulement poussent, par miracle, dans un sol quasi perpendiculaire à la plaine et criblé de rocaille. Des trois ou quatre vignerons interviewés aucun n’avait aperçu, la veille, Marie-Thérèse. « Mais, vous comprenez, on ne fait pas attention à tous ceux qui vont et viennent… » Même réponse à Talissieu, à Ameyzieu. Du reste, à dix heures du matin, — heure de la sortie de la jeune fille, — les villages sont dépeuplés au profit des cultures. Quant aux ouvriers employés dans les champs voisins de la route, ils n’avaient pu rien voir, des haies continues, épaisses et hautes, encaissant la chaussée. Et puis, cette route est celle de la Suisse et d’Aix-les-Bains, une procession d’autos et de cycles la parcourt sans relâche, et c’est là une représentation devenue banale, qu’on ne regarde pas. À plus forte raison, comment une femme à pied aurait elle forcé l’attention des villageois, en admettant qu’ils aient pu l’entrevoir aux éclaircies de la haie ?

Seul, un mécanicien réparateur d’automobiles, logé à l’entrée d’Artemare et qui besogne toujours en plein air, affirma que Mlle Le Tellier n’avait point passé devant sa boutique vingt-quatre heures auparavant : « J’ai reconnu tout à l’heure le double-phaéton de M. Le Tellier. À l’instant, j’ai vu le tonneau de Mirastel occupé par votre mère, votre grand’mère et le cocher. Mais hier, personne du château. »