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Page:Renee Dunan La Culotte en jersey de soie 1923.djvu/102

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LA CULOTTE EN JERSEY DE SOIE

désir me tenait sans répit : étendre mon savoir touchant surtout ce que les romanciers ont nommé le document humain. J’aimais à superposer la réalité aux conceptions livresques. Très calée en histoire, matière qui me fut toujours sujet à passion, je voulais comprendre les cœurs de tous personnages et des foules qui jouent le grand rôle dans la vie des sociétés. Je me promenais avec des yeux toujours curieux pour saisir au vif ce qui se manifeste du secret des esprits et des volontés dans la vie quotidienne. L’existence était un sujet inépuisable de merveilles pour moi.

Or, dans notre ville, qui n’a plus guère que quarante mille habitants mais en eut jadis le double et de ce chef conserve une plèbe abondante et misérable, il y a un quartier pauvre. Ce quartier avait plusieurs noms mais le plus usité et qui devait venir de plus loin, c’était « Les Ruelles. »

Ma bonne et le peuple disaient « Les Ruettes ». Les journaux s’occupaient souvent des mystérieuses Ruelles. Crimes, infanticides, débauches sans nom, vols et foison d’ivrognes y étaient la vie quotidienne. C’était vraiment passionnant. Ce quartier, car je l’avais étudié sur le plan de la cité, faisait un quadrilatère irrégulier bordé par des usines et des casernes, quelques jardins d’anciennes abbayes et des refuges de métiers sales ou méprisés : tanneries, équarrissages, chiffonniers.

J’avais une envie ardente d’aller visiter ce ghetto sans juifs. Je voulais savoir comment y vivaient les habitants, l’aspect des rues et des maisons, la vêture de ce monde en marge de la société bourgeoise. Je désirais voir ce que pouvaient être les femelles et les enfants dans cette sentine qui me faisait immuablement songer à la Cour des Miracles de l’ancien Paris. La chronique des Ruelles dans les journaux ravivait constamment ce désir.