Page:Renouvier - Les Dilemmes de la métaphysique pure, 1901.djvu/256

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imaginaient que la chose avait dû jadis arriver. Trois mille ans après, des athées modernes, inspirés à leur insu par le panthéisme théologique, ont eu la fantaisie de se peindre les forces dispersées à l’infini de l’univers convergeant vers la constitution d’une conscience animale unique qui les gouvernerait, et qui serait ce qu’on appelle Dieu. De telles imaginations ont pour unique appui la foi secrète en un principe des fins. Les anciens, qui croyaient à la fois à l’existence des dieux et à l’éternité de la matière, devaient naturellement penser que les forces cosmogoniques avaient abouti d’elles-mêmes à l’incubation des générations divines ; les modernes, imbus de la croyance au progrès universel et nécessaire, sont conduits à envisager dans l’avenir ce qu’ils ont cessé de croire dans le passé et dans les origines. La loi de finalité, qu’ils nient en principe et pour l’œuvre de la constitution du monde, ils l’appliquent à leurs visions d’un monde futur. Elle s’impose donc à eux, mais elle n’est, à leur point de vue, qu’une illusion. La loi de finalité suppose la conscience ; elle est arbitraire et sans valeur, et même dénuée de sens en son application au monde, si le monde n’a pas son fondement dans la conscience.

L’idée de Dieu ne se constitue en sa plénitude philosophique, ou telle que la pensée humaine en a la puissance, qu’en embrassant simultanément l’idée du monde en son origine première et en sa fin préordonnée ; et l’idée de l’homme ne s’accomplit, pareillement, avec toute la portée réclamée par l’entendement, au cœur de l’individu énergiquement conscient, qu’en le définissant en rapport avec l’humanité et le monde, en toute leur durée et leur destinée. C’est une adéquation morale de l’individu au tout, dans une pensée de causalité et de