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Page:Renouvier - Les Dilemmes de la métaphysique pure, 1901.djvu/26

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sont des phénomènes illusoires. Selon nous, il démontrait seulement par là la nature exclusivement objective de ces formes de la sensibilité. Il ne s’ensuivait donc pas l’unité et l’indivisibilité de l’Être, mais cette thèse est bien celle qui était apparemment dans ses vues.

Le procédé réaliste, élevé de cette manière à l’abstraction suprême, donna lieu à un jeu d’idées qu’il est plus facile de traiter de sophistique, mais qui ne laissait pas d’embarrasser un philosophe admettant la subjectivité des notions universelles. Qu’auraient-ils valu, même comme plaisanterie, ces sophismes, s’ils n’eussent été la satire de la doctrine de l’absoluité de l’Être et de l’illusion des phénomènes ? Il faut qu’il n’y ait rien, disait Gorgias, dans son livre de la Nature ou du non-Être ; car le non-Être ne peut pas être ; autrement il serait en n’étant pas ; et l’Être non plus ne peut pas être. D’où viendrait-il ? De l’Être ? il serait donc avant d’être ; du non-Être ? mais rien ne peut venir de rien. Il serait donc sans commencement ? infini ? mais l’Infini ne peut être ni dans lui-même, ni dans un autre ; il n’est nulle part et ce qui n’est nulle part n’existe pas.

D’ailleurs, ajoutait le sophiste, l’Être existerait qu’il ne serait pas connaissable ; car ni l’Être n’est une pensée, ni une pensée n’est l’Être ; et l’Être serait connaissable, qu’il ne serait pas communicable, parce que toute communication est d’une personne à des personnes autres, qui sentent autrement, et se fait par des mots qui ne sont pas et qui ne transmettent pas des choses.

De tels arguments avaient assez de force, à une époque où le dogmatisme réaliste causait aux esprits neufs une sorte d’éblouissement, pour que la plus pra-