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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/148

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LA DERNIÈRE AVENTURE

à la plus grande aisance. Elle prit sa maison à bail et aurait pu, dit-on, l’acheter.

« Cependant M. De *** m’était fort attaché, quoiqu’il n’eut pas lieu d’être content de moi, car je le maintenais dans les bornes… Il me disait quelquefois : « Est-il possible qu’il faille passer par cette femme pour aller à vous ! Je vous adorerais, vous seriez tout pour moi, et mon héritière un jour, sans cette créature ; mais l’idée qu’elle profite seule de mes présents et de mon amitié pour vous en tarit la source ; je me fais un scrupule de solder le vice, la bassesse… Tâchez de venir me voir seule, vous serez plus en sûreté avec moi seul qu’elle vous accompagnant ; je sais ce qu’elle m’a dit, ce qu’elle m’a offert. Je pleurais à ces discours.

« Dès que j’étais de retour chez ma mère, je me hâtais de demander à retourner chez mes maîtresses, car la mère étant morte, je continuai de rester avec ses deux filles. Je les aimais tendrement à cause de leur honnêteté ; j’en étais tendrement aimée à cause de mon attachement pour elles. C’est de cet asile, où je n’avais que de bons exemples, où je vivais avec des filles de bonne maison, bien élevées, qui ne respiraient que l’honneur et la vertu, c’est de cet asile dont Valfleuri venait m’arracher au milieu de la semaine pour aller écouter, soit M. De ***, soit M. Legrainier que je haïssais encore davantage, mais que ma mère ménageait le plus, par des raisons particulières. Il la servait de son crédit quand elle en avait besoin, sans trop s’embarrasser de la délicatesse ; voilà pourquoi il lui est précieux. J’ai cessé de voir M. De ***, il y a environ huit mois. Ma mère a voulu le faire remplacer entièrement par M. Legrainier, qui offre encore aujourd’hui les vingt mille francs ; mais je lui ai déclaré que je ne voulais plus d’autre homme qu’un mari.

« Le hasard ayant alors fait trouver à ma mère un pensionnaire dans M. du Châtaignier, je crus que c’était là le mari qui m’était destiné. Mais je vois qu’il n’en est rien, et que c’était à l’amitié d’un homme du plus rare mérite que le sort me réservait. Voilà, cher papa, ce que je puis vous raconter de mon his-