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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/156

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LA DERNIÈRE AVENTURE

Lettre de M. du Chataigner a Sara
5 janvier 1781.

Ton petit mari devine l’épreuve à laquelle tu veux le soumettre. Va, il aimerait toujours sa femme quand elle deviendrait muette. Amuse-toi, badine ce petit mari ; il s’en venge soir et matin sur ta bonbonnière, il la caresse, il l’interroge. Elle lui dit que tu aimes comme une folle le petit mari qui t’adore. Excuse-le s’il n’est pas parti dès l’instant où tu l’as invité à voler dans tes bras. Tu sais qu’il ne s’est séparé de toi que pour aller vaincre tous les obstacles qui s’opposent à son bonheur. Il te reverra pour ne plus te quitter. Gronde notre maman, qui ne nous tient pas sa promesse de venir en Dauphiné, si elle était invitée par mes parents. La réponse qu’elle a faite les a tous alarmés, et j’ai été soupçonné d’avoir fait seul les avances. Aide-moi à la décider ; si elle se détermine à venir, je lui reponds d’un bon accueil Viens, viens, ma Sara ! Je me souviens du temps où j’avais le plaisir de te tenir penchée de si bonne grâce dans mes bras, où tu faisais des prodiges, tes jolis doigts s’occupaient à faire un chef-d’œuvre ; tes yeux lançaient le bonheur, ton petit pied faisait lui-même un rôle… Ah ! Sara ! ces heureux moments sont-ils passés pour toujours !…

Je n’ai pas encore demandé à mon père son fonds. J’ai voulu lui prouver auparavant que j’étais en état de le faire valoir. Il paraît content de mon travail ; je vais au premier jour le presser de me donner un état, et lui représenter que je suis en âge de travailler pour mon compte, je suis désespéré comme toi (point du tout ! )[1] du moindre retard. (Consolons-nous, ma bonne amie, écrivons-nous souvent.) Donne à Boyer le moyen de te faire parvenir mes lettres. Bonjour (je m’empresse de me parer des qualités dont tu as bien voulu me garantir la sincérité. Raton s’en souviendra toute sa vie). Je t’embrasse un million de fois, et je suis de tout cœur, chère petite femme.

Ton mari,
Du Châtaignier.

P.-S. — De quelque manière que tournent nos affaires, je pars, le plaisir de te voir vaut mieux pour moi que la possession d’un trésor, juge si je suivrai les avis que ta maman donne à mon père de me rendre raisonnable comme toi… Ah ! quel mot !

  1. Ce qui est d’un autre caractère, ou entre deux parenthèses, était écrit, ou rayé de la main de Sara.
    (R.)