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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/181

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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

vous montrerai quelque jour ; en attendant que vous le voyiez, je veux vous donner une nouvelle preuve de la force de mes sentiments pour vous ; l’absence les fortifie, et demain vous trouverez une lettre qui les exprime parfaitement. — Elle sera un trésor pour moi, ma fille, mais donne-la moi ce soir. — Non, je veux y ajouter quelque chose… Mon papa, mon aimable ami, rendons-nous confidences pour confidences. Je t’écrirai toutes les miennes, fais-moi les tiennes, ne me cache rien. — Je te le promets, ma Sara ; j’avais déjà commencé à écrire mes aventures, pour ma satisfaction, je les finirai pour toi. »

Le lendemain, je trouvai sous ma porte la lettre suivante :

Quatrième Lettre

Serait-il possible qu’ayant été malheureuse toute ma vie, je sois destinée encore à des peines plus cruelles que toutes les autres ! Non, je ne saurais imaginer que nous devions nous séparer, mon papa ! Il vaudrait mieux que nous périssions… Mais qu’osé-je dire, grand Dieu !… C’en est fait, je ne veux plus vivre sans toi !… J’ai cru que mes malheurs étaient finis lorsque je t’ai connu ; mais je m’aperçois qu’ils n’en sont que plus cruels !… Je répandais dans ton sein toutes mes inquiétudes, et tu me rassurais ; je te confiais mes plus grandes peines, en te faisant connaître que mes plus cruels ennemis étaient auprès de moi, et que mes plus doux moments étaient ceux passés à côté de mon père, et je vois qu’on veut me priver de cette consolation !… Eh ! à qui conterai je mes peines quand tu seras éloigné de moi ?… Mais de quoi m’inquiété-je ? Je n’aurai besoin de personne, tout sera fini, je ne veux plus vivre sans toi. Hélas ! je commençais à aimer la vie. Infortunée, pourquoi l’aimais-je cette vie qui m’était à charge auparavant. Y avait-il longtemps que je l’aimais ? Réponds-moi, mon papa. Tu es encore, j’aime à me le persuader, malgré mon absence depuis deux jours ; mais celle qui t’écrit, peut-être quand tu liras ces quelques lignes, n’y sera-t-elle plus… Mais non, elle veut vivre puisqu’il faut qu’elle souffre, elle végétera du moins et jusqu’au dernier moment tu resteras dans son souvenir comme le plus chéri des hommes, tu vivras dans son cœur… Je suis forcée de quitter la plume, les forces me manquent.

Ta fille et ton amie.

Je l’avouerai, quoique je visse bien que la mère de Sara avait des vues sur sa fille, je ne fus pas aussi effrayé de cette lettre