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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/203

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HISTOIRE DE SARA

bruit, qui me fait horreur à présent. Enfin, après un temps assez considérable, j’ouïs ma mère qui pleurait… « Monsieur, elle est morte disait-elle en étouffant sa voix. — Non, non, » répondait l’homme, «  vous en réponds. Faites-lui respirer des sels… La voilà qu’elle revient. Quand elle aura repris connaissance, niez tout, et faites-lui croire qu’elle a été dans le délire : vous la persuaderez. Adieu. » À ce mot, je remontai vite dans mon lit, et je feignis de dormir. Le monsieur sorti, ma mère vint m’éveiller, et me dit que ma sœur s’était trouvée mal, qu’elle avait le transport. Je ne sus plus que penser ; ce n’est que depuis, que j’ai entrevu la vérité. Ma sœur resta malade. Le froid (car j’avais écouté nue plus de deux heures), le froid m’avait saisie. J’eus la fièvre le lendemain assez fort pour ne pouvoir aller voir ma sœur, qui était au lit dans la chambre de ma mère. Je fus si dangereusement malade de cette rechute, que pour le coup, on ne compta plus sur moi ; et comme ma sœur ne sortait pas de son accablement, j’entendis plusieurs fois ma mère dire aux personnes qui venaient la voir : « Je vais perdre mes deux enfants ! » Enfin, après avoir été fort bas, je revins un peu ; et une fois que la nature eut repris le dessus, je me fortifiai plus vite qu’on ne l’espérait. Un jour (que je n’oublierai jamais), je crus que ma mère était sortie, contre son ordinaire depuis que nous étions malades (elle craignait que Maria ne parlât à quelqu’un) ; je me trouvai assez forte pour quitter mon lit, dans le dessein de parler à ma sœur. J’allai pour la voir. Mais, hélas ! quel spectacle ! Je la trouvai sur la paille, et ma mère à côté d’elle, sans connaissance. Saisie de douleur et d’effroi, je tombai sur le corps de ma sœur et j’y demeurai évanouie, je ne sais combien de temps. Mais qu’on se représente de quelle horreur ma mère fut frappée, lorsque, revenue à elle-même et cherchant des yeux la fille qu’elle venait de perdre, au lieu d’une, elle les vit toutes deux couvertes du voile de la mort !… Elle poussa un cri perçant, qui attira chez elle une pauvre femme de son voisinage, laquelle, trouvant ma sœur froide, l’ensevelit, et la fit disparaître de devant les yeux de ma mère.

« Cependant je restais sans secours : on m’en donna enfin ; et mes larmes ayant trouvé un passage, je pleurai ma sœur et mon unique compagne, avec tant de violence, que j’épuisai l’humeur qui m’étouffait et me serrait le cœur. Ma mère était si affectée, qu’on fut obligé de hâter l’enterrement. Quant à moi, je retombai dans une maladie qui dura six mois, pendant laquelle j’étais sujette à des frayeurs mortelles ; appelant ma sœur à mon secours, au milieu de la nuit, et ne me rappelant ensuite qu’elle était morte, que pour la pleurer avec une amertume qui me déchirait le cœur.

« Il y avait alors deux ans que nous n’avions reçu de nouvelles de mon père ; il nous abandonnait à la misère, ou à pis encore… Ce n’est