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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/258

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LA DERNIÈRE AVENTURE

vous que ma fille est très malade ? — Elle m’a paru triste. — Ho ! ils sont brouillés ou prêts à l’être. C’est elle qui a demandé à revenir ! — Cela me surprend ! elle devait se plaire chez son pépé. — Il y a quelque chose là-dessous que je ne conçois pas ; M. Florimond est sorti avec elle, exprès pour la questionner : je saurai ce qu’elle lui aura dit. » Je ne crus pas un mot de ce que cette femme m’apprenait. Le soir, en repassant, la fille et la mère étaient à la fenêtre ; et je montai chez elles. À mon approche, j’entendis la mère qui disait à sa fille : « Hé bien, mademoiselle, allez donc au-devant du monde qui vient pour vous ! » Sara me reçut assez bien, d’après cette injonction. Nous causâmes : je parlai de mes sentiments pour elle ; j’en peignis la sincérité ; l’honnêteté, la confiance ; je regrettai la démarche qui m’éloignait d’elle. À tout cela, Sara parut froide.

J’ai su depuis ce qu’il y avait de vrai dans la brouille de Sara et de Lamontette : le sujet en est ineffable, ou plutôt inracontable, tant il est… Je tâcherai d’en dire un mot, quand j’en serai au temps où j’en fus certain.

Le lendemain, je vins souper avec elle ; avantage dont je jouis encore six mois. Le troisième soir, nous causâmes sérieusement ; je la priai une seconde fois de me dire avec sincérité si elle m’avait aimé ? « Je l’ai cru, me répondit-elle en riant. — Et quand avez-vous cessé ? — Ne vous en doutez-vous pas ? — Non, pas absolument ; mais vous pouvez me le dire. — Non ; dites-moi ce que vous pensez. — Je crois que cette époque a précédé d’environ quinze jours votre connaissance avec mon rival. — Je croyais que vous devineriez plus juste. — Quoi ! c’est donc lui seul qui m’a enlevé votre cœur ? — Que voulez-vous ? — Hé ! comment, comment, avec une figure comme la sienne, un mérite aussi mince, a-t-il pu ?… — On n’est pas maître de ses sentiments. — Ha ! Sara ! vous faites votre malheur et le mien ! car cet homme n’est pas ce que vous voulez ; il mettra au désespoir votre véritable ami ; il le tuera ou le forcera d’éteindre ses sentiments pour vous. Nous eussions été si heureux, sans lui ! Vous m’aimiez ? je vous adorais… Il n’est plus temps ! Mais du moins