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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/264

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LA DERNIÈRE AVENTURE

fit un jeu ce que je croyais une marque d’amitié. Le jour de l’accouchement, Sara m’attendit avec impatience une partie de la journée. Je passai enfin sous ses fenêtres. Elle m’appela et me fit la proposition. J’hésitai d’abord, par répugnance pour la cérémonie baptismale, mais au bout d’une minute, je fus ravi que Sara me fournit elle-même une occasion de cimenter notre liaison. Je songeai qu’elle allait être ma commère, et ce titre flatta si fort mon pauvre cœur, que je sentis mieux que jamais que Sara y régnait encore. « Puis-je vous refuser ? » lui dis-je, en lui présentant la main. Elle reçut mon consentement avec une joie d’autant plus vive que le refus de mon rival, malgré leur convention, n’avait pas laissé de la mortifier. Elle courut annoncer à l’accouchée qu’elle avait pour compère son pis-aller… Le soir, avant, durant, et après la cérémonie, elle fut charmante ! elle l’aurait été pour un indifférent. Mon cœur s’épanouissait ; j’eus la faiblesse de croire que le titre que nous acquérions l’un envers l’autre, serait capable de lui donner pour moi quelque attachement. Cette erreur ne dura que la journée ; dès le lendemain, Sara reprit sa manière accoutumée depuis son indifférence, et cette manière n’était rien moins que flatteuse, pour un homme qui avait été chéri ; celle qu’elle aurait eue pour un indifférent aurait été mille fois préférable. Chaque jour m’a confirmé cette insensibilité cruelle qui m’occupe et me désespère ; chaque jour je m’apercevais confusément que j’étais trahi, trompé ; que j’avais perdu non seulement l’amour, mais l’amitié, la confiance. J’en acquis bientôt la certitude.

Un jour, elle sortait avec sa mère ; on me cachait le but de cette sortie. Le hasard, en les quittant un instant avant le départ, me fit prendre une route qu’elles devaient suivre ; elles m’aperçurent devant elles et elles retournèrent sur leurs pas. Je fus cruellement blessé de cette conduite ! Mais pourquoi l’être ? Depuis longtemps, Sara ne voyait plus en moi qu’un ennemi ; l’intérêt seul l’engageait encore à me souffrir auprès d’elle ; l’amitié, la confiance n’existaient plus. Le soir, je m’en plaignis à ma perfide Sara : « J’ai aimé, lui dis-je, une fille dont j’ai