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Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/44

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LA DERNIÈRE AVENTURE

être exposé aux inconvénients des chaleurs excessives, si les eaux qui serpentent dans la plaine et les bois qui couvrent les environs ne le mettaient à l’abri des ardeurs trop vives du soleil. On fut longtemps sans habiter ce lieu charmant. La crainte qu’inspirait le voisinage des gouffres de l’Etna en éloignait les Siciliens. Enfin, on remarqua que les éruptions ne se faisaient jamais de ce côté. Peu à peu, des paysans plus hardis que les autres osèrent s’y établir. Leur exemple encouragea, et bientôt il s’éleva dans cette solitude un bourg, dont les habitants vivaient avec aisance, en s’adonnant au soin des troupeaux et particulièrement à la bergerie.

Parmi ces paysans heureux (les seuls peut-être qui le fussent sur la terre), étaient deux familles liées d’une étroite amitié : chez l’une était un fils, chez l’autre une fille, que leurs parents désiraient d’unir, afin de s’aimer encore davantage, s’il était possible. Le jeune Alcibiade et l’aimable Flore avaient atteint l’âge convenable pour remplir le vœu de leurs familles, mais par un caprice digne de la légèreté commune à la jeunesse, ils montraient un éloignement égal, non pas l’un pour l’autre, mais pour tout engagement.

La violence est un mauvais médecin pour guérir le goût trop vif de la liberté. Leurs parents, gens raisonnables et doux, prirent le parti d’attendre que la réflexion ramenât leurs enfants à des idées plus conformes au bonheur qu’ils voulaient leur procurer. Ils comptaient et avec fondement, sur leur bon naturel. Il est vrai qu’Alcibiade et Flore avaient les meilleures qualités du cœur et de l’esprit. Alcibiade était un grand brun d’une physionomie ouverte. Il avait cet air leste et mâle qui annonce la joie et la santé. Sensible, doux et vif, il recherchait toutes les bergères ; mais, quoique empressé auprès d’elles, il ne regardait l’amour que comme un badinage. Il ne se livrait avec ardeur qu’aux exercices du disque et de la course, aux divertissements tumultueux des fêtes et des danses. Avec ces dispositions, Alcibiade eût été dans les grandes villes un aimable libertin ; dans le séjour tranquille où il vivait, elles n’en firent qu’un aimable indifférent.