Aller au contenu

Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/93

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
87
D'UN HOMME DE QUARANTE-CINQ ANS

lettre à la main : « Je viens vous voir aussi, me dit-elle avec un agréable sourire ; voyez cette lettre que je reçois à l’instant ». Elle me pressa de la lire, et sur un signe qu’elle fit à sa fille, Sara nous quitta.

« Je vous ai envoyé ma fille volontiers, me dit-elle, sur la demande qu’elle m’en a faite cependant ; c’est pour que vous tâchiez de gagner sa confiance, et de connaître ses dispositions. Elle est si dissimulée avec moi, sans doute parce qu’elle me craint, car je l’ai élevée sévèrement, qu’elle ne peut ou qu’elle n’ose me dire sa pensée. Voici ce dont il s’agit. Il y avait ici, l’été dernier, un jeune homme que vous avez vu ; c’est M. du Châtaignier. Ce jeune homme me l’avait demandée en mariage. J’y avais consenti, mais j’ai observé depuis qu’il était sans établissement. Il me doit sa pension, pour le temps qu’il a demeuré chez moi ; cette lettre est de son père, qui me propose d’aller dans son pays : voyez, lisez-la. Mon intention est de refuser nettement son fils et de lui demander mon paiement ; mais je voudrais que la réponse fût bien tournée et bien piquante, pour deux raisons, qui sont de blesser assez son amour-propre pour qu’il empêche son fils de songera ma fille, et qu’il me paie sur-le-champ. Faites-moi cette réponse, je vous en prie, j’ai confiance en vous. Je vous prie ensuite de connaître à fond les dispositions de ma fille et de vouloir bien m’en instruire. Je vais vous la renvoyer dans l’après-diner, sous quelque prétexte, comme d’un livre, que vous avez oublié de lui donner. »

Je fus charmé de cette marque de familiarité, mais j’étais en ce moment encore si désintéressé, à ce qu’il me semblait, que je résolus de ne pas faire la réponse, que je n’eusse parlé à la demoiselle ; j’aurais été fâché de la brouiller avec un amant qu’elle aurait aimé.

Elle revint en effet à six heures du soir. Elle paraissait plus embarrassée qu’à l’ordinaire, car elle me demanda beaucoup de pardons de me déranger. Je lui répondis que c’était l’heure à laquelle je quittais le travail et que je ne pouvais en être plus