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Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/107

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fille d’un père estimé : ne pouvait-on pas la demander et me mettre au désespoir ?

… Medio de fonte leporum
Surgit amari aliquid, quod in ipsis faucibus angat.

C’est ainsi que tous nos plaisirs sont mêlés de peines… comme pour consoler le néant et la mort !… J’écrivis sur des tablettes la date précieuse, en ces termes : Fœlix dies decimanona Decembris 1731, natalis suit pulcherrimæ puellæ Johannæ Russicæ mihi carissimœ. (Voilà mon premier thème.) Ces tablettes furent pour moi une sorte de talisman tant que je les conservai : elles excitaient mon courage dés qu’il se ralentissait ; j’allais me cacher pour les ouvrir, et le nom de Jeannette me donnait une nouvelle énergie pour le travail, pour l’étude et pour toutes les vertus[1].

Pendant mon séjour à Courgis, j’allais souvent en campagne pour des commissions dont mes frères me chargeaient. En outre, nous allions tous les dimanches matin chercher à Saint-Cyr, à tour de rôle, la provision de viande pour la semaine. De tous les petits voyages que j’ai faits, celui de Saint-Cyr était le plus agréable. En hiver, je le faisais dans l’après--

  1. C’est le souvenir de ces sentiments vertueux excités en moi par l’amour, qui m’a fait composer, en 1777, le Nouvel Abailard ou l’Amour par lettres, pour former les deux sexes à la vertu par l’Amour, qui les corrompt ordinairement.