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Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/178

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de ma première jouissance. Je supposais toutes ces filles cédant par la contrainte, et en gémissant, quoique j’eusse dans la réalité l’expérience du contraire : apparemment la brutalité des Courtcou excitait davantage ma veine grossière… Parvenu au premier mois que je faisais le dernier, j’y donnais la description de mon enclos ; ensuite, après avoir embelli à ma manière le lieu de la scène, je venais à ma Jeannette. Ma conduite, avec elle, était précisément telle que si je l’avais aimée seule : pour m’innocenter à ses yeux, je lui faisais accroire que ma situation était, non une récompense, mais une condamnation, effet de la jalousie de mes ennemis ; que j’étais forcé d’avoir douze femmes, et de leur faire des enfants à toutes les douze, sous peine de la vie. Je me justifiais ainsi dans son esprit, et je lui jurais de n’aimer qu’elle, protestant de n’aller auprès des autres que par crainte. Cette petite ruse trouvée, mon premier chant s’acheva, et eut tout seul autant de vers que les onze autres.

Le temps que je donnais à la composition de cet ouvrage, était celui de mes récréations, de mes voyages, ou de mon absolue solitude dans notre classe. J’avais toujours une écritoire dans ma poche ; mon poème fait et à faire, était également réparti en deux, entre la doublure de ma redingote de ratine ; personne ne partageait mon secret. Mon ardeur pour ce travail fut telle d’abord, que tout endroit m’était bon pour travailler ; je ne perdais pas le temps que j’étais forcé de passer dans quelque lieu que ce fût.