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Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 2, 1883.djvu/42

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suspris à la récréation du dîner, m’eût découvert la vérité… Fayel et Poquet étaient entrés dans l’infirmerie. Je voulus les y suivre. Ils parlaient de moi : — « Ah ! Fayel ! que nous sommes loin ! Lui, frère du maître, si modeste, si timide, qu’il n’ose demander le plus absolu nécessaire ! — Il était… il était… ah ! » dit Fayel attendri, « dévoré… — Bon Jésus ! » s’écria Poquet ; « c’était par esprit de pénitence ! Il fera un saint un jour… » Quelle jouissance délicieuse !… Je sentis, pour la première fois, toute la douceur de l’amitié. — « Ah ! Fayel ! » dis-je en moi-même, « tu as droit d’être jaloux ! ce n’est en toi qu’une qualité de plus !… Cher ami ! tu m’as obligé par l’endroit le plus sensible ; tu m’as sauvé la honte de demander ce qui m’était absolument nécessaire ! » C’était effectivement un double bienfait, de me débarrasser du poids de ma honte naturelle, car timidité n’est pas ici le mot propre ; puisqu’au fond, c’était de l’orgueil. On nous appela au devoir. Mais je trouvai un moment pour avouer à Poquet ce que j’avais entendu. — « Laissons faire Fayel, » me dit-il ; « c’est un excellent ami ! Je l’estime plus qu’il ne croit ! Heureux quand on trouve un cœur comme le sien, fallût-il se prêter à toutes ses faiblesses !… Mais Fayel n’en a pas. »

C’en était peut-être fait de mes mœurs, malgré mon éloignement extrême pour le vice philandrique, si, comme ce Romain, un coup de poignard dans ma vertu n’avait percé l’abcès qui m’eût donné la mort.