Aller au contenu

Page:Reveille-matin des François, 1574.djvu/346

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
140
D I A L O G V EI I.

Si eſpere-ie qu’il t’auiendra quelque iour pour beaucoup qu’il tarde à tout le moins ce qui auint à Tryfus ce tyran inſigne, mais ſans comparaiſon meilleur que tu ne fus iour de ta vie. Ce vilain ayant deffendu par ſon edic‍t à ſes ſuiets de ne parler point l’vn à l’autre ny en public ny en priué, (craignant qu’entre eux ils n’auiſaſ‍ſent de ſe remettre en liberté) ſes poures ſuiets furent contraints pour exprimer leurs conceptions les vns aux autres d’vſer de geſ‍tes, de contenances & ſignes des yeux, de la teſ‍te & des mains tels qu’ils pouuoyent pour s’expliquer. Mais ces façons & moyens de ſe faire entendre, leurs eſ‍tans auſsi deffendus : vn poure bõ hõme outré du creuecœur & deſplaiſir qu’il ſentoit d’vn ioug ſi peſant, s’en alla au milieu de la place, cõmẽça à ſe plaindre en ſoy meſme, à lamenter, à gemir & à plourer, tellemẽt qu’il attira vne grande multitude de ſes concitoyens à larmoyer auecques luy pour leur dure & miſerable condition. Cela eſ‍tant entendu du tyran, ne pouuant ſouffrir ſeulement qu’on ſe plaigniſ‍t de ſes cruautez, s’en vint droit à la place, où ceſ‍te poure multitude deſarmee & plourante eſ‍toit aſ‍ſemblee : pour leur empeſcher encores celle naturelle faculté de gemir & larmoyer. Mais Dieu voulut que le peuple ne ſe pouuant plus contenir, s’eſ‍tant rué deſ‍ſus les gardes & ſatellites du tyrã, leur arracha des poings les armes & mit le tyran infame en mille pieces & lopins.
Le pol. Voila bonnes gens, compagnon, ie croy bien qu’apres ce beau trait Tryfus le tyran n’euſ‍t

oſé les empeſcher ny leur deffendre de ſe com-

plaindre