Page:Revon - Anthologie de la littérature japonaise, 1923.djvu/213

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morceau plus étendu apparaît, on l’art se montre et qui fait voir que l’auteur de ces esquisses peut, à l’occasion, peindre un tableau brillant, un pprtrait acheyé, ou mener à bonne fin une anecdote soutenue. Quant au style, tantôt d’une concision voulue et tantôt d’un cours facile, presque négligé, il sait prendre le ton des sujets les plus divers avec une admirable souplesse. Même contraste enfin pour les vers qui, çà et là, étincellent dans la prose de Mouraçaki ou de Sei. Ceux du Ghennji sont si parfaits que les critiques indigènes déclarent n’en trouver aucun qui soit inférieur aux autres ; ceux du Makoura no Sôsbi, tout en faisant apparaître en pleine lumière la solide érudition, de l’auteur, reposent cependant plus volontiers sur quelque improvisation ou quelque adaptation ingénieuse que sur une réelle inspiration, et si les lettrés japonais aiment à rapprocher les essais de Sei Shônagon des poésies chinoises qui en furent les modèles, ils ne songent guère à comparer ces jeux d’esprit aux nobles vers de la grande poétesse[1]. Où les deux chefs-d’œuvre se rencontrent, pourtant, c’est d’abord dans le réalisme, si précieux, qui nous permet de voir à travers leurs pages toute la civilisation japonaise du xe siècle ; et c’est aussi dans l’expression qu’ils nous donnent des sentiments humains les plus généraux. À cet égard, le Makoura no Sôshi vaut le Ghennji et parfois même le surpasse. En lisant telles maximes concises où Sei Shônagon, femme du monde hardie qui pousse la franchise jusqu’au cynisme, marque d’un trait mordant quelque vice hypocrite, on songe à La Rochefoucauld ; et quand on voit surtout tant de pages profondes où la terrible rieuse, si prompte à saisir tous les ridicules de la ville et de la cour, a mis en se jouant une pensée que signerait le meilleur des moralistes ou un portrait qui dresse devant nous l’image d’un caractère éternel, on ne peut s’empêcher de penser que le vieux Japon a eu aussi son La Bruyère.

Le Makoura no Sôshi comprend 157 chapitres, distribués en 12 livres[2]. Pour donner une idée aussi complète que possible de ce petit chef-d’œuvre japonais, je vais mettre ici, en traductions ou en analyses, les quatre premiers livres, c’est-à-dire le tiers de l’ouvrage entier[3].

    Sei Shônagon, qu’elle emprunta l’idée première de ses fameuses listes de « choses désolantes », « choses détestables », et la suite, à un ouvrage chinois, le Tsa-tsoan, ou « Collection mélangée », de là Nghishan (dynastie des Thang).

  1. Pour saisir la différence, voir ci-dessus, p. 122 (n° 57 du Hya-kouninn-isshou) et p. 125 (n° 62).
  2. Ou volumes (maki).
  3. M. Florenz constate avec raison (p. 223) que le Makoura no Séahi est difficile à comprendre, même pour les Japonais lettrés, à cause des nombreuses allusions qui en obscurcissent le texte. Mais