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ANTHOLOGIE DE LA LITTÉRATURE JAPONAISE

familièrement jusqu’à moi, je sens combien je suis éloigné du monde. Parfois, en remuant les cendres, le feu m’apparaît comme un vieil ami[1]. La montagne où je vis n'est pas un lieu terrible ; mais les cris des hiboux éveillent en moi la mélancolie. Ces beautés de la montagne n’ont point de fin, et les hommes qui pensent profondément en trouveraient encore bien d’autres.

Quand j’établis d’abord ma demeure en cet endroit, je croyais que c’était à titre provisoire ; mais cinq ans déjà ont passé. Ma hutte temporaire est devenue une vieille hutte, dont le toit est chargé de feuilles mortes et dont la terre battue est couverte de mousses. Quand, par hasard, j’entends des nouvelles de la capitale, j’apprends que maints personnages sont morts ; les disparus de condition inférieure doivent être innombrables. J’entends dire aussi que bien des maisons ont été détruites par l’incendie ; mais ma hutte temporaire demeure sûre et tranquille. Quelque étroite qu’elle puisse être, elle a un lit pour dormir la nuit, une natte pour s’asseoir le jour ; elle suffit à me loger. Le bernard-l’ermite[2] aime sa petite coquille, parce qu’il se connaît lui-même ; l’orfraie[3] habite

    Je pense: « Est-ce le père ? »
    Je pense : « Est-ce la mère ? »

    Dans ces vers, le poète ne se demande pas si c’est le père faisan ou la mère faisane qui a crié (ce qui serait trop plat), mais bien si ce n’est pas un de ses parents morts qui rappelle (idée très naturelle pour qui admet la transmigration). Cet oiseau est, en effet, au Japon, un symbole d’amour paternel. « Le faisan dans la plaine brûlée », dit un proverbe fondé sur le dévouement de la mère faisane qui, lorsqu’on incendie la lande, ne songe pas à s’envoler, mais à couvrir ses petits de ses ailes pour mourir en les protégeant. Notre vieil ermite, écoutant le « horo-horo » lointain, envie te bonheur de ces faisandeaux qui peuvent recevoir le tendre appel de leur père ou de leur mère et pense avec douleur aux parents morts qui ont tant aimé.

  1. Sentiment déjà exprimé par le poète Kouninohou (IIe siècle) :

    Ah ! je réveille
    Le feu couvert, qui pourtant n’a
    Rien à dire...
    Car je n'ai point d’ami
    Intime, en cet hiver.

  2. Le gôna (pagurus), ce petit crabe qui se loge dans la coquille d’un mollusque.
  3. Le miçago.