Aller au contenu

Page:Revue Musicale de Lyon 1904-04-06.pdf/4

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
292
revue musicale de lyon

LISZT et WAGNER

À propos de la « Tétralogie »

Richard Wagner inconnu en Allemagne comme en France, séjournant à Paris en 1840, avait été présenté par M. Schlesinger au grand Liszt déjà dans toute sa gloire majestueuse ; ce fut aussi de Paris (25, rue du Helder) qu’il adressa, au célèbre Hongrois sa première et très modeste lettre datée du 23 mars 1841. Dès lors, pendant 42 ans, la correspondance entre les deux musiciens, devenus d’abord amis admirables, puis beau-père et gendre, ne devait plus se clore : les gradations dans l’amitié et l’affection sont assez rapides. Le ton reste respectueux chez R. Wagner jusqu’en 1849 ; alors grâce aux puissantes interventions de Liszt, Wagner a pu fuir Dresde et les tribunaux militaires toujours expéditifs, traverser l’Allemagne et débarquer à Rorschach le 19 mai 1849. Sauvé et libre sur la terre hospitalière de la Suisse il se hâte de remercier Liszt et dès le 5 juin le tutoiement fraternel s’établit entre le Hongrois ami de tous les souverains d’Europe et le Saxon banni. Les tristesses de l’exil, le découragement, les amertumes variées du cœur, l’éloignement des théâtres allemands, la pauvreté, les soucis de santé, l’abandon, feront de toutes les lettres de Wagner un lamento continuel s’accentuant toujours jusqu’au jour rayonnant de la venue du Chambellan bavarois apportant l’appel sauveur du très noble Louis ii de Bavière : les encouragements intellectuels, la fermeté du cœur, le dévouement le plus absolu, l’abnégation la plus méritoire en face parfois de soupçons dûs au malheur persistant, les secours pécuniaires fréquents, l’entêtement fraternel auprès des Rois et des gouvernements allemands pour obtenir l’amnistie, font de toutes les lettres de Franz Liszt la couronne la plus admirable à sa mémoire aimée et vénérée. R. Wagner une fois tranquille se remit promptement au travail, prenant aussi l’habitude de tenir au courant son ami, lui demandant conseil, sollicitant ses amis, lui soumettant plans et projets, compositions et poèmes et, dès 1857, dans leur correspondance très active, nous pourrons suivre les phases successives de la création de la Tétralogie jusqu’au fameux arrêt de construction daté de Zurich 1857, formulé dans la phrase mélancolique bien connue.

« J’ai conduit mon jeune Siegfried dans la belle solitude des bois, je l’ai laissé là sous le tilleul et je lui ai fait mes adieux en pleurant des larmes d’attendrissement[1]. »

« Un grand orage, une grande passion, bouleversaient alors l’âme et le cœur de Wagner : la torche d’Iseult flambait et la blessure de Tristan ruisselait…

J. Tardy.
  1. Ébauché dès 1848, le poème complet de l’Anneau du Nibelung parut (tiré à cinquante exemplaires pour les amis de Wagner) en février 1853. La première édition publique parut en 1863.

    La composition musicale de l’Or du Rhin fut achevée en mai 1854 ; celle de la Walkyrie en mars 1856 ; celle de Siegfried, commencée en 1856 et interrompue plusieurs fois fut terminée le 5 février 1871 ; celle du Crépuscule des Dieux en 1872 ; l’ensemble le 21 novembre 1874.

    La première représentation de la Tétralogie eut lieu à Bayreuth du 13 au 16 août 1876 ; la seconde, du 20 au 23 ; la troisième du 27 au 30, chacune commençant un dimanche et se terminant un mercredi. Par ces trois cycles fut inauguré le théâtre de Bayreuth qui reste ensuite fermé pendant six années, jusqu’à la création de Parsifal en 1882.

    L’Anneau du Nibelung a été joué depuis à Bayreuth en 1896, 1897, 1899, 1901 et 1902 et presque sur toutes les scènes allemandes. Il a été exécuté en français, l’an dernier à Bruxelles ; les représentations de Lyon seront les premières données en France.