Aller au contenu

Page:Revue de Paris, 23e année, Tome 6, Nov-Dec 1916.djvu/453

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

L’ÉNIGME DE GIVREUSE



I


Dans la première semaine de septembre 1914, vers le soir, quatre brancardiers traversaient la lande du Loup Rouge. Le crépuscule venait formidable et terrifique. L’enfer était dans le ciel et sur la terre. Une fournaise de soufre et de sang s’ouvrait dans la nuée ; la foudre des hommes, grondant au delà des collines, ébranlait les arbres dans leurs racines et les rocs dans leurs profondeurs.

Les brancardiers revenaient de l’ambulance et retournaient vers la tuerie ; l’un d’eux murmura en s’essuyant le front :

— On les tient…

— Nous avons encore avancé, — répliqua son compagnon.

Il y avait de l’horreur sur la lande. Le sang formait des mares ou se coagulait parmi les herbes. Des cadavres s’allongeaient paisibles et sinistres…

Subitement, une main s’éleva sous une cépée, on discerna une faible plainte :

— Un qu’on n’a pas vu ! — fit celui qui avait parlé le dernier.

Il s’approcha de la trochée : un soldat regardait autour de lui, dans un songe. C’était un homme de grande stature, dont les météores avaient à peine patiné le visage. Sa chevelure rappelait la couleur des avoines mûres et sa moustache celle