Page:Revue de Paris, 23e année, Tome 6, Nov-Dec 1916.djvu/469

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seul des deux hommes a-t-il servi dans le régiment. Un romancier arrangerait cette histoire : je vois déjà trois ou quatre manières… soit qu’ils se connaissent, et ne veulent pas le dire, ou qu’ils l’aient oublié à la suite du choc… soit qu’ils ne se connaissent pas et que quelqu’un… ennemi ou ami mystérieux soit intervenu… soit que l’un des deux seulement connaisse l’autre… Notez qu’il n’est même pas nécessaire qu’ils soient jumeaux et alors on peut recourir à d’autres conjectures. Avec de l’imagination, tout cela peut se résoudre…

— Mais non l’identité des blessures…

— Ici, nous recourrions à un autre procédé d’explication. Ceux qui ont étudié le calcul des probabilités admettent comme possibles toutes les coïncidences. Depuis des trillions de trillions de millénaires que notre nébuleuse existe, pourquoi non seulement deux hommes, mais deux jumeaux, n’auraient-ils pas pu, une fois, être blessés de même sur un même champ de bataille. C’est indéfiniment improbable… Ce n’est pas impossible.

— Et les poids ?

— Il y a des hommes qui pèsent peu proportionnellement à leur taille… ceux-ci pèseraient très peu, voilà tout…

— Tous deux ?

— Tous deux. Leur ressemblance l’exige presque.

— C’est du plus mauvais paradoxe ! — déclara durement madame de Bréhannes.

— J’en conviens, madame. La vérité est sans doute tout autre. Mais le paradoxe donne une direction à la pensée.

Formental écoutait à peine. Toute parole lui semblait illusoire. Il était en proie aux faits ; ils l’entraînaient vers des réalités inconnues.

À la fin, on l’entendit dire :

— Il faudrait pouvoir les confronter !

— Ce n’est pas difficile ! — fit Louise.

— Ah ! vraiment ?… Et l’effet moral ?

— Je crois qu’ils le supporteraient à merveille.

— Moi aussi ! — fit timidement Diane.

— Vous êtes bien téméraires ! — grogna le docteur.

Il regarda, par la vitre, un tendre et modeste paysage qui descendait vers la rivière. Au loin, des peupliers très hauts,