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Page:Revue de Paris, 23e année, Tome 6, Nov-Dec 1916.djvu/765

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Sa complexité et ses détours étaient des nuances d’âmes, non des ambiguïtés, ni des équivoques…

Depuis le retour, des éléments terrifiques se mêlaient à des éléments si troubles que toute la réalité du monde en était bouleversée. Et pourtant l’amour subsistait. Il subsistait fantastiquement. C’était un homme que Valentine aimait, « celui qui vivait naguère au château de Givreuse et dont l’identité était certaine ». Mais comment le discerner de l’autre ? Lorsqu’elle se trouvait seule avec celui qui tenait le rôle de Pierre, il ne semblait plus pareil à lui-même, il n’était qu’en partie présent. Et cela correspondait à une réalité. Seul, chacun revêtait une apparence imparfaite, ambiguë et ressemblait moins à Givreuse…

Elle tentait vainement de raisonner. Toute logique devenait fausse, insuffisante, misérable.


Pour hâter la guérison des blessés, madame de Givreuse résolut de repartir pour la campagne.

Ils rentrèrent dans le château de Givreuse, dont l’aile gauche seule est habitable. C’est le domaine des chauves-souris. Elles partagent le granit avec les corneilles, les oiseaux de mer et les martinets. Le peuple des ajoncs et des genêts a tracé sa route dans les ruines, les vents de l’Atlantique rugissent sur les rouvres trapus, et les hérissons sortent comme des fantômes rebroussés, au clair des étoiles.

Mais l’aile gauche est confortable. La pierre est sèche, les baies ouvrent de larges yeux au soleil qui naît sur la plaine et meurt dans les eaux. Des cheminées grondantes consument les ajoncs, les pins et les chênes. Les murs sont du même granit que les falaises, indestructibles, sauvages et rassurants.

Dans ce refuge farouche, les soldats et mademoiselle de Varsennes vécurent une existence émouvante. À peine s’ils en sentaient l’étrangeté. La palpitation éternelle du cœur des eaux, le grondement des marées, les ouragans chargés de l’odeur des terres lointaines, les nuits immenses, les pierres antiques du château qui retenaient le souvenir des générations jadis tumultueuses, et là-bas, sur une plaine désertique, les dolmens et les cromlechs imprégnés de l’âme primitive, toute l’ambiance s’adaptait aux choses mystérieuses.