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Page:Revue de Paris, 23e année, Tome 6, Nov-Dec 1916.djvu/767

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influence des désordres nerveux, dont la contagion offre des analogies étroites avec celle des maladies microbiennes, à chaque instant frappait un médecin, un infirmier ou une infirmière.

Savarre demeurait invulnérable ; son immunité l’étonnait lui-même.

C’était un esprit aussi libre que le comporte l’infirmité humaine. Il n’avait remplacé ses croyances religieuses par aucune des superstitions des hommes de science. Rien ne lui semblait incroyable. Selon lui, l’absurde n’existait point ; et toute contradiction pouvait être une apparence :

— Qu’est donc la raison, sinon une cristallisation d’antiques expériences ? — disait-il. — Depuis les temps historiques, nous avons vu sombrer plusieurs de ses meilleures escadres. Comme Platon semble déjà incohérent et Aristote dérisoire ! Pourtant, ce furent d’incomparables cervelles. Croyez bien qu’elles feraient des nouvelles constructions un usage merveilleux et qui dépasserait un peu les manœuvres de Comte, de Spencer ou du jeune Nietzsche.

Pourtant, le cas de Givreuse l’avait abasourdi. Il cherchait un équivalent dans les textes millénaires et n’en trouvait point :

— Il y a bien, — disait-il, — des histoires aussi désorbitées mais elles sont imaginaires. Il s’agit de savoir si celle-ci est réelle. Si elle l’est, nous entrons dans une norme inédite — et avec elle toute la vie terrestre.

Il s’acharna à revérifier les preuves. Elles valaient celles des plus sûres découvertes scientifiques. L’anomalie des densités le frappait plus que tout. Au moment où il reçut les premières confidences, le poids respectif des jeunes hommes ne dépassait pas encore quarante-cinq kilogrammes. Ce poids était en disproportion flagrante avec le volume des chairs et des squelettes. Philippe ou Pierre, tels qu’ils apparaissaient, devaient atteindre chacun soixante-dix kilogrammes environ. Et l’on savait, avec une entière certitude, qu’avant son départ, Pierre en pesait soixante-seize.

Savarre s’enquit aussi, avec insistance, de l’endroit où Pierre était tombé ; il nota que cet endroit n’était pas le même que celui où on les avait ramassés.