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Page:Revue de Paris, 24e année, Tome 1, Jan-Fev 1917.djvu/143

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nappe ; il jetait un instant ses membres minuscules et s’endormait pour l’éternité.

— Que c’est étrange ! — dit-elle… — Pourquoi ces bestioles viennent-elles mourir ainsi ? La vie est pleine de stupidités impénétrables !

— Encore les insectes nous apparaissent-ils comme des espérances d’automates, mais ces milliers d’oiseaux qui se précipitent sur les phares et s’y fracassent ?… Oui, une stupidité invraisemblable se mêle à l’ingéniosité des créatures… Et nous sommes bien aussi bêtes que ces insectes !

— Plus, peut-être, car nous savons prévoir, et voyez à quoi sert notre prévoyance ! Je suppose que vous fumez…

— Pas beaucoup, seulement dans les moments où la tristesse est trop grande.

— Le mirage ?

— Le tabac ne me donne aucun mirage !… Il dissout… il disperse mes idées… Ce soir, je préfère l’odeur des tilleuls. Il contemplait dans la lumière dansante et indéterminée, cette compagne qui semblait jaillir d’une terre de fées.

— Comme c’est doux de vous regarder ! — murmura-t-il, d’un ton qu’elle reconnaissait.

Elle eut un léger sursaut ; elle plongea au fond du rêve :

— Vraiment, — fit-elle, avec une pointe de moquerie. — Êtes-vous seulement véridique ?

— Est-il possible que je ne le sois pas ?… Existe-t-il beaucoup de Français pour qui vous ne seriez pas un merveilleux spectacle ?

— Merveilleux ! C’est un bien gros mot…

— Depuis que les dieux sont morts, que reste-t-il de merveilleux pour les hommes, sinon la femme !

— Bon, si vous parlez pour toutes les femmes.

— Je parle pour celles dont le vieux Priam disait : « Il est juste que l’on meure pour elles !… »

— Ce Priam était un vieux fou !

Elle secoua la tête :

— Allons au-devant de la lune… Elle va monter derrière les hêtres rouges…

Elle s’était levée et, tête nue, elle descendit vers les pelouses. Il la suivit tout tremblant. Des lueurs confuses les guidaient.