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Page:Revue de Paris, 24e année, Tome 1, Jan-Fev 1917.djvu/396

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Elle n’était pas femme à vivre dans le doute. Elle fit surveiller les deux hommes ; elle connut en gros leurs travaux et leurs démarches, elle eut sur mademoiselle de Varsennes des renseignements fragmentaires, mais décisifs pour un esprit comme le sien :

« Voilà pourquoi Pierre n’est pas venu ? se demanda-t-elle. Mais si mes soupçons sont justes, cela expliquerait pourquoi il joue auprès de moi le rôle de Philippe… Ce serait abominable, et habile. Il aurait sans risque l’ancien et le nouvel amour ! »

L’imagination de la femme se joue dans l’impossible, surtout quand l’impossible se mêle à l’antique duel des sexes… Elle riait d’elle-même : pourtant, elle alla épier le château de Givreuse et surprit mainte démarche de Pierre.

Un jour, surexcitée, elle l’attendit.

Il la vit brusquement devant lui, sur la route. Hypnotisé, son regard se fixait sur elle, avec une stupéfaction naïve qui ne pouvait être feinte :

— Thérèse ! — balbutia-t-il.

Elle l’examinait avec une curiosité dévorante. Très vite, elle vit qu’il avait les joues plus maigres que Philippe, le teint plus pâle, et, dans toute son allure, quelque chose de plus rêveur, de plus indécis.

« C’est lui Pierre ! se dit-elle… C’est lui que j’ai aimé…

Elle sentit, avec une joie sourde, que cet amour si profond et si terrible, la laissait presque indifférente. Il avait définitivement disparu dans le gouffre des choses mortes ; Philippe seul l’émouvait. Elle devina une indifférence pareille chez le jeune homme, et de cela seulement elle ressentit un léger dépit :

— Vous savez que j’ai vu votre sosie, — fit-elle avec un peu de sarcasme… — Sans doute, la ressemblance est prodigieuse… Pourtant, je ne m’y tromperais point…

Un instant, ils demeurèrent là, échangeant des paroles qui ne les intéressaient guère, puis elle lui tendit la main, sans rancune.


Il crut devoir télégraphier à Philippe, qui arriva au château, vers le soir.